• A la fin il m'avait dressé

     

    A la fin il m'avait dressé, je rédigeais, super-malin, amphigourique comme un sous-Proust, quart-Giraudoux, para-Claudel... je m'en allais circonlocutant, j'écrivais en juif, en bel esprit de nos jours à la mode... dialecticulant... elliptique, fragilement réticent, inerte, lycée, moulé,
    élégant comme toutes les belles merdes, les académies Francongourt et les fistures des Annales...
    Ça m'embarrassait forcément. Cette application, cette débauche, ça me gênait mon développement... Je fus excédé un matin, je claquai la
    porte... Après tant d'années, quand je réfléchis, c'est dans un coup d'héroisme que j'ai quitté la S. D. N. Je me suis sacrifié, au fond, je
    suis un martyr dans mon genre... J'ai perdu un bien joli poste, pour la violence et la franchise des Belles-Lettres Françaises... On me doit
    une compensation... je sens que ça vient.
    Le monde est une Société anonyme, un Trust dont les Juifs possèdent toutes les actions. Trust à filiales : La Communiste »... La Royaliste
    »... La Démocratique » et peut-être bien La Fasciste ». Il ne faudrait pas tout de même conclure que de servir Yubelblat ça n'apprenait pas certaines choses... je parle du domaine scientifique, de la médecine appliquée, des arts sanitaires et de l'hygiène... Il connaissait, le petit sagouin, tous les secrets du métier. Il avait pas son pareil pour dépister l'entourloupe, pour percer les petits brouillards dans les recoins d'un rapport. Il aimait pas les fariboles, fallait qu'on lui ramène des chiffres... rudement positifs... de la substance contrôlable, pas des petites suppositions... des conjectures aventureuses, des élégants subterfuges... des fins récits miragineux... ça ne passait pas,... des chiffres d'abord ! et avant tout ! ... Les sources ! ... les recettes du budget ! ... avant les dépenses !... Des faits basés sur des "espèces" ... en dollars... en livres si possible... Pas des
    "courants d'air" ... Que ce soit de Chicago, dont il s'agisse, ou de la Chine, de Papworth ou de Mauritanie... fallait pas qu'on lui en raconte... Il interrompait tout de suite le narrateur... bien poliment il faut le dire... Il sortait son petit crayon :
    -- Attendez, voulez-vous... je note... Combien ?... Combien vous m'avez dit ?... je ne retiens pas très bien les chiffres... Les brouillards, les- jeux de phrases... c'était pour les autres... il encaissait lui que le pognon... L'Avenir, les paroles d'espérance ne lui inspiraient que méfiance... Il appréciait pas beaucoup les douces promesses de l'Avenir... L'Avenir c'était pour les autres, pour lui c'était du présent... du pondérable " Les phrases,
    l'imagination, donnons tout aux délégués, Ferdinand, aux hommes politiques, aux artistes. Nous, comprenez-moi, Ferdinand, si nous ne sommes pas très sérieux, alors il vaut mieux disparaîtrez... nous n'y arriverons jamais... Les phrases pour les Commissions... Pour nous Ferdinand, la
    Caisse !
    " C'était vraiment raisonnable, dans la pratique, j'ai vite compris... cet admirable principe... j'ai appris à lire les budgets... à ne jamais croire
    rien sur parole... à tout de suite aller regarder au profond des comptes... refaire toutes les soustractions... Forcer l'homme toujours escroc, le meilleur, le plus pur, la dupe, bon de son brouillard avant qu'il vous enveloppe de même...
    Maintenant, prenons un exemple, quand on vient vous raconter que l'U.R.S.S. c'est le pays de la santé, des merveilles nosocomiales, des
    émulations éperdues, que des progrès prodigieux marquent tous les pas de la médecine... Coupez court à tout ce verbiage, demandez
    seulement ce qu'ils dépensent dans un hôpital, moyen, de ce fameux U. R. S. S., pour le courant, le casuel, demandez le nombre de lits ? les
    salaires du personnel... nourri... pas nourri... le prix du fricot... Vous laissez pas égarer... le prix du linge, des médicaments en vrac, du
    blanchissage... du chloroforme, de la lumière, de l'entretien du bazar... des mille bricoles du roulement... Ça sera bien moins fatigant et cela
    vous révélera d'un coup mille exactitudes, que mille discours, mille articles ont précisément pour but d'escamoter à vos regards... Refaites
    un peu ces additions, considérez tout en roubles, en carotte, en margarine, en chaussures, anthracite... Vous aurez des sacrées surprises... Voici du sérieux ! du solide!... Tout le reste n'est que batifoles, bulles... entourloupes et mouvements de pompe... Gidisme, hypothèses, poésies...
    Je ne voudrais pas vous faire un cours, une petite leçon pédantique, non, non, non, c'est pas mon goût... Mais enfin pour ceux qui ne savent
    pas il faut bien que j'éclaire ma lanterne... Et puis ça vous amusera peut-être... Or, voici donc l'essentiel : Quand un pays, si moche soit-il,
    si cave, si pauvre, si perclus qu'il se trouve, au terme de quelque grand désastre, d'immenses pestilences... : guerre, petite variole, calamités publiques, typhus, choléra, etc.... décide de se requinquer, on file au peuple, pour qu'il s'émeuve et qu'il douille, des grands coups de trompette échotissimes... On le met en transe, on l'éberlue, on l'agite... La campagne de Santé Publique » commence aussitôt... Mais il faut partir de la bonne jambe !... faut pas faire les Champignoles » ... Il s'agit en quelques mois de faire tomber les statistiques, de présenter au monde entier quelque chose de très convenable... de respectable... de ne pas rester à cafouiller autour de projets saugrenus... justifier tant que possible l'argent investi... Un grand coup de libre et heureuse » en somme ! de parer au plus urgent, de dégarnir les hôpitaux toujours encombrés, dans les époques calamiteuses, les asiles... de soulager les caisses de secours raplaplas » ... d'obtenir, et c'est l'astuce, la politique, les résultats les plus prompts... les plus nettes transformations et le tout à très peu de frais... Et que tout le monde s'aperçoive pour répéter alentour : les dirigeants c'est des grands mecs ! on a des as au pouvoir ». En pays fauché, gaspillage est fatal »... Du coup, on pense aux vénériens, c'est le condé classique... C'est l'Arlésienne » de l'Hygiène... on est sûr de faire salle comble... On remonte d'un coup tout le théâtre...

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