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D’un tournant l’autre, je me paumais !
D’un tournant l’autre, je me paumais !… je vous le dis, j’avoue… Lili ou Bébert me retrouvaient… les femmes ont l’instinct des dédales, des torts et travers, elles s’y retrouvent… le sens animal !… c’est l’ordre qui les interloque… l’absurde leur va… le biscornu leur est normal… la Mode !… pour les chats : greniers, tohus-bohus, vieilles granges… les demeures en « Contes fantastiques », les attirent, irrésistibles… où nous nous avons rien à foutre !… l’Embryogénie leur drôlerie, pirouettes, virevoltes de gamètes… la perversité des atomes… les bêtes, pareil !… tenez Bébert !… il me faisait « coucou » par les lucarnes brrt !… brrt !…la niche !… je le voyais plus !… il se foutait de moi !… les chats, enfants, dames, sont d’un monde à eux… Lili allait où elle voulait dans tout l’Hohenzollern-Château… d’un dédale de couloirs à l’autre… du beffroi de tout en l’air, des cloches, à la salle d’armes, à fleur du fleuve… un itinéraire que d’instinct !… à la raison, vous travioliez tout !… colimaçons, bois, pierres, échelles !… remontées !… demi-tours !… tentures… tapisseries… fausses sorties… tout traquenards !… même un plan vous compreniez rien !… que des assassins tous les coins !… trouvères, chauves-souris, fées vadrouilles… de tout à rencontrer je vous dis, d’une fausse sortie… d’une fausse tenture l’autre !… je sortais de chez Brinon, de chez Marion… de chez Y… de chez Z… je vous cite que des noms de personnes mortes… je laisse les survivants tranquilles… les morts suffisent !… ceux qui sont morts en Espagne… et ceux qui ont fini ailleurs… bien ailleurs !… les indiscrétions, Tacite s’en chargera !… il est déjà né, on dit… bon !… le Château, faudra qu’il se fie à moi… pensez il aura basculé !… vermoulue croulure… l’équilibre est pas éternel ! il sera parti au Danube !… le
Schloss et la Bibliothèque ! labyrinthes !… boiseries !… et porcelaines et oubliettes !… au jus ! et souvenirs !… et tous les princes et rois du Diable !… au delta, là-bas !… ah ! Danube si brisant furieux ! il emportera tout !… ah !
Donau blau !…mon cul !… si fougueux colère frémissant fleuve d’emporter le Château et ses cloches… et tous les démons !… te gêne pas ! hardi ! et les trophées, armures, gonfalons, trompes à secouer toute la Forêt Noire, si sonores que les pins peuvent plus !… culbutent de vibrer !… partent aux avalanches !… la fin des féeries des manoirs, revenants, triples sous-sols et potiches ! Apothicaireries et pots !… Apollons porphyres !… Vénus ébène ! au torrent tout ! et les Dianes Chasseresses ! des étages entiers de Dianes Chasseresses !… d’Apollons !… Neptunes !… rapines des démons à cuirasses, dix siècles détrousseurs !… vous pensez !… l’afur de sept dynasties ! vous irez voir vous rendre compte, ce « Formid-Rapines » magasin… je veux pas être plus fort que Tacite, mais tout de même vous pouvez penser que dix siècles de démons-gangsters c’est quelqu’un !… et rois en plus ! et que Rome-la Prusse c’est un plutôt sérieux trafic, caravanes de marchands cossus !… ah ! Dianes !… Vénus !… Apollons !… antiquaireries ! Cupidons ! voyages des marchands ! s’ils s’étaient servis les Princes !… Hohenzollern !… gangsters du Danube !… s’ils s’étaient meublés !… meublés vraiment de très jolies choses !… je m’y connais…
Louis-Ferdinand CÉLINE - D'un château l'autre (1957)
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