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III - NOTRE-DAME DE LA POURRITURE (1) 2/4
Quant à Dieu, auguste légume dans le Mouroir des Cieux ou Idée Vague, Quête de soi, horloger, cordonnier, menuisier ou Cause Première, Juge salaud ou Amour de Tout, je ne réussis jamais à lui trouver la moindre milliardième parcelle de divin à côté de l’assise contemplative cosmique et burlesque qui me prend devant les spectacles les plus éprouvants de ma mythographie personnelle : autant de façons de se remettre sur une chaise, d’humecter ses lèvres, autant de givre, de gifles et de sourires, autant de fromages forts et de chairs de poules, de ballades ellingtonniennes et de démarches de femmes, autant de « purée » qui monte du « paquet », de colonies de manchots royaux et de vibraphones Deagan, autant de livres lus, à lire, à acquérir, à offrir, à déchirer, de bateaux au loin et de tableaux de chevalets, autant de ponts transbordeurs et de gros seins, de disques d’Ahmad Jamal et de faunes en sueur…
Dieu n’existe pas, ça ne fait aucun doute : la question ne se pose même pas. C’est la raison pour laquelle je suis contre, d’une façon presque inquisitoriale, l’allégorisation de Dieu. C’est une honte qu’on laisse respirer des êtres humains qui voient Dieu sous une autre forme exclusive que le grand « Gulliver » à la barbe blanche, en espérant sournoisement faire mieux passer, plus modernement, leur atroce creux mystique ! Je ne crois pas en Dieu mais je crois encore moins au Dieu qui n’est pas anthropomorphe, et les catholiques qui ne s’adressent pas au Vieillard Swiftien sont des imposteurs que l’Eglise devrait répudier. Dieu doit rester à l’image de l’homme qui l’a créé. Dieu n’est pas le mot de passe pour désigner ce que nous avons de mieux en nous, pour pousser au cul cette quête effrénée de l’homme vers son lui-même. Dieu n’est pas l’âme. Penser ça, c’est trouver un prétexte pour être religieux. Moi, je n’ai pas besoin de prétexte. Je n’ai pas besoin de faire ma petite chirurgie esthétique pour me donner une excuse. Je n’ai pas besoin de Dieu, mais j’exige que ce Dieu reste bien le vieux Dieu ringard de l’imagerie médiévale : c’est ce qui me permet de ne pas y croire, pensez si c’est important !
Dieu, c’est le Détour du Messie. Voir Dieu mort partout, voilà le nouveau nivellement : la puissance de la foi aux quatre coins du purgatoire ! Mais ces raisonnables foudroyés, communient-ils tous les jours ? Revivent-ils la passion ? Passent-ils dix heures par jour ployés sur un prie-Dieu ? Fêtent-ils toutes les fêtes ? Clignent-ils de l’œil à tous les symboles ? Rien ne leur échappe-t-il ?… Non, n’est-ce pas, c’est moins archaïque que ça, c’est plus « abstrait », plus moderne, transcendantal ! Je ne croirai à un catholique d’aujourd’hui que si je le vois en larmes tous les jours en pensant aux plaies de N.S. J.-C. et la bouche bétonnée d’hosties…
On ne revient à la religion que par vertige des contradictions d’abord ! Et plus profondément par trouille et par ennui ! Ils ont besoin d’une S.P.A. de l’esprit, un but où bander. Et puis, Dieu est une promotion, vous comprenez : c’est le dernier bastion qui n’est pas vulgaire, la brèche subversive assurée ! Le Salut ! Moi je trouve qu’on n’est sauvé que lorsqu’on a du mal à définir la chrétienté. Les religions étouffent les esprits religieux, elles ne les épanouissent pas. La religion, c’est la consommation du désir religieux. Toute pratique orthodoxe entame à jamais votre gâteau intime. Toute religion me paraît une parodie du mysticisme. Tout ce qui étend l’individu jusqu’à la minorité, et la minorité jusqu’à tout le monde et n’importe qui, me révulse les nausées. La religion regroupe trop d’êtres sous le même surnaturel faux pour que ses rites ne soient pas
invariablement ratés d’avance. La religion n’est pas assez religieuse pour moi. Tout individu qui n’est pas à la fois son propre Dieu, son fidèle et son impie, n’est pas religieux. La sacralisation de l’Univers passe automatiquement par une série de rites intimes que personne d’autre ne peut pratiquer. Les rites de plus d’une personne sont interdits. Il n’y a pas d’histoire.
La religion, c’est la caricature de la mythologie. Où est la magie dans la résurrection éventuelle d’une petite frappe fade, un blondinet mièvre et crâneur, émissaire de pouilles romaines, un capricorne fils unique, mea culpesque, un Jeune Nidoreux Rouquin Jasant, une idole de nougat des plus simplets caraques du désert, des plus débiles crouilles de Judée, bref une Star des Larves… Où sont les fées dans le Temple ? *
Tags : dieu, c’est, n’est, religion, autant
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