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J'habite la Lune ...
Par Cruella dans Correspondance (1955-1966) : Alejandra Pizarnik / Léon Ostrov le 26 Novembre 2020 à 12:40J’ai toujours cru en Alejandra. Malgré ses défaillances, ses abandons, ses renoncements, ses angoisses, ses morts – sa mort – moi, je savais qu’elle était irrémédiablement sauvée, parce que la poésie était en elle comme une force inaltérable. Et si les forces obscures semblaient parfois gagner du terrain, ce n’était là qu’une formalité inévitable pour qu’ensuite ses terribles visions puissent se transformer et croître en lucidité. Jusqu’à ce qu’Alejandra il y a dix ans décide d’interrompre sa recherche. Avait-elle enfin trouvé ? A-t-elle senti qu’elle ne trouverait jamais ?
"Je n'appartiens tout simplement pas à ce monde. J'habite la Lune avec frénésie. Je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de cette terre étrangère, agressive. Je n'arrive pas à penser aux choses concrètes, elles ne m'intéressent pas. Je ne sais pas parler comme tout le monde. Mes mots sont bizarres et viennent de loin, d'un endroit où personne ne se rencontre. Que ferais-je une fois plongée dans mes mondes fantastiques et incapable de remonter à la surface ? Parce que c'est bien ce qui risque de m'arriver. Je partirai et ne saurai pas revenir. Je ne saurai d'ailleurs pas qu'il existe un "savoir revenir". Et je n'en aurai peut-être tout simplement pas envie."
Dans une de mes lettres je lui racontais que lors des derniers jours que j’avais passés à Paris, en 1955, j’avais réussi à en emporter quelque chose (l’impardonnable souvenir). Alejandra me confia à son tour que si elle devait repartir avec un souvenir de son séjour parisien, elle emporterait la façade d’une maison à moitié détruite qu’elle avait vue dans un petit village (Fontenay-aux-Roses) dont la gare est pleine de roses. Les fenêtres de cette maison étaient couleur lilas, mais d’un lilas tellement magique, tellement semblable aux rêves merveilleux, qu’elle imaginait qu’elle y entrait et qu’une voix lui disait : Je t’attendais depuis si longtemps… C’est là qu’elle resterait – pour toujours – parce qu’elle n’aurait plus rien à chercher.
Correspondance (1955-1966) : Alejandra Pizarnik / Léon Ostrov *
Tags : lune, habite, monde, simplement, peur
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