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L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (4) 1/2
Comment ai-je réussi à assassiner tous les êtres humains de notre ignoble planète ? Rien de plus simple : en passant de la haine à l’extase… Bien vite mon halo haineux s’est transformé en aura extatique : j’ai rayé de la surface du globe LA TOTALITÉ des individus… On m’a souvent accusé de taper un peu n’importe où, de détester à vide, aveuglément tout ce qui me tombe sous la dent. C’est que, en réfléchissant bien contre un arbre ou dans mes mains, je me suis bien rapidement rendu à l’évidence : il n’y a vraiment personne que je tolère. Je suis pour l’extermination intégrale et sans discussion. Si je vais au fond de moi-même, pas une ordure ne peut me donner une bonne raison de ne pas disparaître. Ma haine est devenue, par son extase même, complètement érotique. J’exècre tout et j’en jouis, jusqu’à me faire disparaître moi-même, comme dans les contes orientaux, les Orientaux dont j’approuverais tant le fanatisme, si je ne les méprisais pas !
J’ai porté ma subjectivité jusqu’au crime. Quelle merveille ! Je n’aurais jamais pu penser que la misère morale pouvait entraîner un homme vers de pareilles délices ! Il n’y a rien que je ne puisse transformer. Je suis allé au fond de l’honnêteté et j’y ai découvert le péché absolu. Écouter sa nature porte à la condamnation pure et simple : ne pas tricher, c’est la guillotine. Je n’aurai pas assez de toute ma vie pour perdre la tête.
Trop loin de ce monde que je hais jusqu’au plus profond de mes fibres, et pris de l’autre côté par un irrépressible dégoût pour mes problèmes personnels, pour tout ce qui me concerne vraiment dans ma vie quotidienne au point de ne jamais arriver assez à ma surface pour modifier le cours de mon existence, je n’hésite pas une seconde pour lui préférer une espèce de musique bien plus enfoncée que mol, dans laquelle pleutre et lâche je me réfugie immédiatement : une espèce de vision littéraire d’un moi très profond, dégagé de toute circonstance, de tout sentiment, et dont le seul rappel à l’ordre détruit tout le reste, c’est-à-dire d’abord mon personnage terrien, physique et mental, humain pour tout dire, et ensuite, hélas, tout ce qui le touche : les autres et les choses… C’est plus facile pour moi de lire pendant vingt-deux heures un livre de Raymond Roussel que de penser, même vaguement, à ce que je vais devenir…
J’ai toujours vécu si perpétuellement en contemplation, en adoration permanente pour tant de choses que je me suis mis en extase, en stricte extase effarée, en ébahissement total, visqueux de béatitude. J’ai toujours tout fait pour m’y rouler comme un porc dans sa boue pestilentielle. Je traverse des vitres sans éclat, avec la fuite inéluctable de celui dont l’infini a horreur. Détaché de tout, je me jette dans un vide immense, dans l’exaltation même de me permettre tous les vertiges. Tous mes élans sont issus d’une fulgurante mystique du fond des foudres surgie. Une violence de chocolat. Un revolver dans le miel. À huit ans, proie encore dédaignée, j’étais comme aujourd’hui, avec un punch beaucoup plus extraordinaire et dont la perte progressive me rend malade. C’est vomir qui donne envie de vomir. En nous les ravioli sont sages.
Vous voyez que je ne suis vraiment pas fait pour m’asseoir dans un orchestre. La Solidarité, l’émulation, l’amitié, la rigolade, l’esprit d’équipe, la détente : tous ces commandements me sont interdits.
Malgré tous mes efforts de télépathie spontanée avec les êtres, toute ma métaphysique expérimentale d’astres fauves, je vois que tous les élans palpitants et instantanés se crèvent comme autant de montgolfières de salive au bord des crocs.
Devant moi se referment les Relations Humaines : c’est-à-dire tout à fait inhumaines. J’attendais, petit déjà, des gens qu’ils fussent des mages. Je pouvais toujours attendre. Ils ne seront jamais malades.
La vie des hommes me paraît aussi ridicule que les petites sacoches que certains trimbalent partout avec eux et qu’ils déposent, un peu absents, sur les guéridons des cafés, comme un paquet de merde, comme une bouse de vache. Que peuvent-ils bien mettre là-dedans ?
Moi, je suis dans mes alléluias. Le reste, qu’importe ! Je flotte dans mes nuages. Je suis bien. Lent et décontracté, plein de choses béantes, offertes comme des femmes. Je fonce dans la boue, comme un hagard homard, par les fils de la vase, au fond, au plus profond possible de ce gour, loin de tout, surtout de tout, pour tous, à jamais en bas, au fond, sans caprice, sans éclat, sans cicatrices, dans l’abysse crevé… Finie la locomotive bouffonne pour petits cons ! Elle est essoufflée au garage la micheline asthmeuse. J’en ai assez d’être pillé, de rassurer les mauvaises consciences, de poivrer les fades, catalyser les imbéciles, alimenter les avides de magie, divertir les applaudisseurs, trouver les paumés, rassasier les gourmands de chic, les goinfres de la force, les voleurs d’amour, les petites couilles des baises insatisfaites, de tous ceux qui retournent leur diapason. J’en ai assez d’être généreux. Au fond du vestiaire, la défroque du Puck tonique de ces dames ! Adieu B.A. ! J’ai déjà trop donné ! Toute ma vie, j’ai aidé des types et des filles à vivre cinq minutes dans l’Absolu ! Je leur ai bien mis le nez dans leur moutarde : ça leur a fait du bien pour un instant, avant de repartir dans leurs conneries primordiales. J’ai été le relais des fiacres tristes, des diligences déprimées, des anges hésitants, scrupuleux, le confident d’assez déplorés morvelles enrhumées et autres mal branlés, le déboucheur de lavabos asphyxiés, le Robinson de tous les trombones rouillés. Atroce jésus-docteur parmi les enfants ! Stupide Corbeau !
Tags : bien, vie, fond, c’est, mol
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