• L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (4) 2/2

    J’ai toujours ressenti en moi cet effrayant mélange de sauvagerie haineuse, d’inimaginable impossibilité de communiquer avec quiconque et cette aisance, cette puissance de repartie, de délire complice, de théâtralisation de la situation et des personnages. Un enthousiasme me suffit pour délirer et inclure le monde entier dans ma féerie, emboutir vraiment toutes les âmes présentes… Une baisse brusque d’illusion me plonge dans un mutisme hargneux, vil, sourd et cruel, étouffant, dont toute la terre est exclue dans une gerbe de vomi ignoble de sentiments. Écrasé par la haine et stimulé par l’amour, ou vice versa… Bloy devait habiter de tels jeux d’orgues, je suis sûr.
     C’est que je ne tolère en moi qu’une seule étape pour tout. L’Unité profonde de l’émotion originelle où tout devrait se fondre, toujours plus, dans le plus visqueux des miels d’artères. C’est pour ça qu’on me trouve intolérable avec ma manie de ne rien faire de ce qui ne me ressemble pas, de ne rien échafauder pour jouir et de préférer me passer de ce dont j’ai besoin même s’il faut, pour parvenir à mon extase, passer par mille soucis et la salir… On se retrouve vite seul. C’est aussi le grand secret de la solitude enthousiasmante. Il ne faut pas se leurrer. On croit parler à des types : on veut se parler à soi-même. On croit échanger des regards, se comprendre à demi-mot : faux ! Alors que nous n’aimons bien que nous retrancher avec nos interlocuteurs dans notre superficialité : la sinistre collision de deux gramophones déglingués dès le premier mot échangé. Si vous êtes capable de vivre vingt-quatre heures seul sans rien faire, au fond de vous-même, si je ne m’abuse, vous êtes sauvé ! Voilà l’histoire ! C’est tout là. Tout sacrifier à la chute en soi.
     Tout est dedans. Dehors, c’est la perte de temps. Moi-même me mords souvent les doigts d’avoir dispensé tant de théâtralité. Seulement dedans on peut prendre son temps, accomplir les fouilles, se découvrir ! C’est si bête ? Tout le monde s’en fout de quitter ce monde sans s’être connu soi-même. Né embryon bambin ignare qui s’ignore complètement s’en va mourir – si tout va bien – soixante-quinze ans après sans savoir qui il était !… Moi ? Connais pas ! Quel dérisoire paquet de merdes ! J’ai toujours été étonné de voir à quel point les hommes se désintéressent d’eux-mêmes.
     Ils sont là, ne sachant jamais rien, sans aucune sensualité, handicapés épouvantables qui se permettent encore de rire, d’exister, de respirer, alors qu’ils ne méritent que la Crevaison totale dans leur petit abject nid d’aspics à tics où somnole avec eux et pour toujours une petite, toute petite humanité, trop humaine de ne l’être pas assez. À quand des camps d’extermination pour tous les hommes ?
     Je leur porte tort ? Même pas ! C’est le poil à gratter qui les émeut : au kiki, au pipi, ils sont au maximum de la glousserie. Ça glougloute dans l’éclat. Les jeux cons de mots ! Voilà ce qu’il faut aux hommes. On rigole, on roucoule, on rouclowne et tout est ri !
     J’ai accusé bien des petits sourires ironiques, méprisants, indifférents, jaloux, maternalistes, paternalistes, fraternalistes : ils ne m’ont rien fait, si ce n’est me rejeter au plus profond de moi-même. Avec une hache je leur aurais fendu le crâne à tous ceux qui croyaient me connaître, qui, avec la même arrogance conne qui les caractérise, pensaient me faire plaisir ou croyaient me vexer ! Bandes d’ordures. Laissez-moi pourrir. Je vous hais.
     J’ai senti toute ma vie ce regard de jalousie déguisée en mépris paternaliste de la part des imbus merdiques croyant tout savoir, à la Leçon bien apprise, qui n’ont rien fait, rien aimé, rien haï, fiers de rien. Je sais pertinemment que je vais être profondément démoli, attaqué, précipité à la Roue, fouetté, buchenwaldisé à souhait. « J’ai Osé », est un parfum que les hommes n’aiment que sur les mannequins.
     Mais pour moi, tout cela n’est plus un problème. Ce n’est plus rien que diffus regrets aux vents dérivants, dans les tourbillons à travers les désirs vagues et cons au loin à jamais. Si vous pouviez – ne serait-ce qu’un instant – percevoir avec justesse l’état subconscient mi-larvaire, mi-vermoulu, dans lequel je me laisse détacher !… Je le répète : il n’y a qu’une solution, c’est la finale. Ratisser systématiquement. Une seule dynamique : l’extermination. Oui, j’ai dans mes ancêtres un certain marquis.

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