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L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (5) 1/3
C’est parce que Sade est un idéaliste qu’il prône le meurtre. Il n’y avait que lui pour imaginer de telles allégories. Car tout système est improbable. Il a raison : l’idéal, ce serait le Carnage pur et simple. Hélas, c’est quelque chose qu’on ne peut pas faire, qu’on ne sait pas faire, quelque chose comme voler dans les airs, respirer de l’eau, vivre deux cent cinquante ans : irréalisable. Le crime n’a pas encore trouvé de punition à sa mesure parce que au fond personne ne réalise l’aberration d’un tel acte, son « surréalisme » près duquel l’existence de Dieu paraît soudain éminemment concevable ! Seul Sade peut en parler, non seulement parce qu’il a tous les droits, mais grâce à l’immensité de son imagination. Car le meurtre est un fruit de l’imagination : l’obstination concentrique des Écritures du marquis nous le prouve. L’imagination de Sade n’est pas toute le marquis : si Sade invente tant de meurtres, c’est qu’il n’y croit pas, pas plus que moi qui vis – comme n’importe quel enfant du XXe siècle – parmi des milliards de meurtres « et décharge au milieu de cela ». S’il est exact de voir en Sade le Remplacement indiscutable de toutes les Grandes Têtes Molles du XVIIIe siècle, de Diderot à Montesquieu en passant par Voltaire, Kant et Rousseau, il est encore plus exact de voir comment il annule complètement Freud. Moi, j’ai toujours remplacé Freud par Sade. À quoi sert Freud, quand nous avons Sade ? À quoi sert un docteur sans littérature quand nous avons un souffrant écrivain ? Tout Freud est dans Sade, et plus. Tout le bordel freudien est dans le Boudoir, en mieux, en plus poétique, plus mystique, prodigieusement écrit non par un médecin mais par un malade, un animal, un prisonnier… Il y a longtemps que j’ai fait cette petite substitution : elle ne semble pas difficile, et pourtant si vous saviez comme elle vous change les couleurs comme elle vous détourne de toute la chianterie de notre siècle si clairement freudien et sadique, c’est-à-dire si peu sadien !
Sade encule Freud. Encore un peu il enculait Nietzsche. L’Anus Boche se défend bien : il est de taille. Mais la vraie transmutation des valeurs, c’est tout de même Sade qui l’a gagnée, ouvrier du recul des limites : il est d’une conscience professionnelle à toute épreuve, les mains sales et la facture sur des milliards de pages. Ça ne rigole pas ! S’il y a bien un écrivain du « raconter les horreurs d’une façon belle », c’est lui. L’écriture infatigable de Sade est l’une des plus précieuses de la Littérature française : on attend en fait comment il va faire swinguer tout ça. C’est ce qui est excitant. C’est littérairement que Sade est bandant.
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