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L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (5) 2/3
Certains lisent Sade au premier degré, d’autres au deuxième, au huitième, au quatre-vingt-douzième : la progression est inversée ! Voici un des grands actifs à la décharge du Divin marquis pour moi : cette impossibilité pour la plupart des veaux de situer leur innommable curseur : le « A la Lettre » introuvable ! Qualité suprême des grands excessifs, des incommensurables excédents, ceux qui partent des limites, ceux qui commencent à penser à partir des bornes qu’il ne fallait pas franchir. L’énormité maniaque est la seule voie jouable pour aboutir au Mystère : ce n’est pas en demeurant en route, au bord du Juste-Milieu que l’on reçoit tous les trésors : l’Équivoque, le Problème que pose l’œuvre ne s’obtient pas au prix de l’éclectisme et de la vague ambiguïté ironique, mais en étant directement dans le vif de l’outrance, on gagne en incrédulité, mère de toutes les questions : on pose un miracle. On n’est pris au sérieux que lorsqu’on n’est pas cru. À force de traiter pour rire, devant tout le monde, mon père d’Arabe ignoble ou de Vieux débile et ma mère de Conasse Enculée, le paysage filial s’est peu à peu modifié à l’avantage de l’Allégorie je dirais, car je me considère comme un fanatique de l’outrance allégorique et péjorée, et mon devoir est d’en faire tourner lentement les hélices dans les grandes chairs molles de l’existence. De même que Céline trempe en même temps son bic dans l’extrême droite et l’extrême gauche, Sade est en avant même du plus premier degré du Crime : relaps incarcéré creusant à la petite cuillère le plus grand trou, le con le plus profond qu’aucune littérature ne pourra jamais envisager. Un trou long de millions de pages écrites sur des rouleaux de papier hygiénique, tout seul, en cachot, gros et gras forçat, noble hippopotame dans les dentelles rongées de rats, un fou rire à chaudes larmes en se branlant de sa propre langue, de son phrasé admirable, ses répétitions de derviche, son incantatoire monotonie, son souffle euphorique, son lyrisme et ses dialogues, ses écrits de boîte en boîte aussi chinoises que des supplices, et ses démonstrations envoûtantes, circulaires et lentement lourdes, l’une des écritures les plus mouvementées, la plus dynamique, entièrement fondée sur la perception du Temps faussé (ou ajusté ?) par la prison ! Car en prison, le temps ne passe pas de la même manière : ça se sent dans l’écriture de Sade, sa rhétorique dépend entièrement de ça, ce cul entre l’espace et le temps…
La Littérature gagne à être emprisonnée. De De Profundis aux Deux Étendards, c’est vérifiable… Ne vous leurrez pas : tout écrivain écrit pour être écroué. La littérature est une telle magie noire qu’elle ne s’opère bien qu’en cellule, dans un cocon, surprise un petit matin, sans autre danger mortel que l’ablation d’un mot ou son rétablissement, ce qui, du reste, finit par se confondre. J’ai vécu toute la première partie de mon existence sur cet alexandrin : « La vie carcérale est l’idéal littéraire. » J’ai toujours été persuadé que la prison était le seul endroit possible pour écrire. Les grands artistes ont tous envie d’être emprisonnés comme des bêtes sauvages. Toute leur vie et toute leur œuvre ne sont qu’une quête désespérée de la geôle où, tranquilles, on a une vraie raison d’écrire et de payer ce qu’on a écrit. Certains se contentent de procès (Flaubert, Baudelaire) : c’est déjà pas si mal ! D’autres n’attendent pas les hommes : ils se condamnent eux-mêmes, Kafka chacal aux papillons, Proust papillon cloué au liège… Mais les plus forts sont les condamnés !… La Sentence du Chef-d’Œuvre ! Sésame ferme-toi ! L’ange avec les ailes au vestiaire ! Verlaine ! Oscar ! Jean Genet ! Lucien !…« Macron VS Pif Gadget, Schiappa VS Playboy & Gouvernement VS Retraites ! [J'SUIS PAS CCONTENT ! #382] Brann - Вселенная Скорби (The Sorrow Universe) »
Tags : litteraire, grands, temps, seul, sade
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