• La banlieue de Paris! (2)

     

    C'était la ruée, non pas vers l'or comme en 1848 en Californie, c'était la ruée vers la misère, dans la boue où l'on patauge mais qu'on ne lave pas, car elle ne contient que de la merde, dans les trous que l'on creuse non pas pour y trouver des pépites mais pour s'y loger. On vivait dans les baraquements effondrés et des huttes faites de trois plaques de tôle ondulée, dans des campements en plein champ dignes du Far West, et dans les wigwams les sidis, maîtres des quartiers qu'ils terrorisaient en bandes, prostituaient les femmes et les filles étrangères. Pour ne pas avoir à faire la queue et pour avancer d'une place les hommes s'entre-tuaient à la porte des rares chantiers d'embauchage ou de déblaiement. Des bistroquets, d'ignobles rince-gueule où l'on débitait un alcool frelaté, des cantines où l'on servait de la barbaque, du chien crevé qui schlinguait, s'édifiait un peu partout, au début installés dans des vieilles caisses d'avion, puis consolidant leur fragile installation par des murs en carreaux de plâtre, en briques creuses, en aggloméré, en parpaing, le toit fait de feuilles de carton bitumé, de plaques de tôle, de mauvaises planches maintenues par des pavés, et le succès venant, quand un gramophone braillait à l'intérieur la plupart du temps éclairé à l'acétylène, se recouvrant de tuiles et d'ardoises.
    Ces premiers établissements, où petit à petit on trouvait à se loger dans des soupentes à courant d'air et où l'on se mit à danser le samedi soir (déjà les premiers partouzards s'y risquaient amenés pas des taxi de nuit (1), sont à l'origine de la plupart des lotissements qui s'esquissèrent alors sous forme d'îlots de misère encerclés de barbelés ou d'un mince quadrillé de sentes piétinées parmi les orties, les ordures, les tessons de bouteilles, les fondrières des agglomérations furieusement particularistes et divisées en nations qui virent alors le jour en bordure des champs d'épandage.
    Et ce fut une nouvelle ruée conduite par les caïds et les mastroquets groupés en syndicats rivaux, et tout le monde se mit à remuer cette terre jalonnée jusqu'à l'invraisemblable, des tchinques, des polacks, des bougres, des babis, des cassanes à peine dégrossis qui s'improvisaient maçon, entrepreneurs, architectes, agents d'assurance, géomètres car tout le monde voulait en être, tout le monde voulait construire, et lotir, lotir, lotir, les nouveaux arrivants, refoulés d'Amérique, ne cessant d'affluer en banlieue, et comme la crise des logements sévissait à Paris, la couche la plus pauvre de la population suivit le mouvement qui drainait en banlieue tout la misère de l'étranger.

    1. Cf. Le Bal du comte d'Orgel par Radiguet.

    "L'homme foudroyé" Blaise Cendrars

     

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