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    Nos yeux sont faits de tout petits carreaux de faïence, certains brisés, avec dessus le bleu perdu des premiers jours.  Nous n'habitons ni les villes, ni la terre.  Un peu le ciel.

    "L'amour des fantômes"  Christian Bobin *

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    C’est une lumière de printemps [...] Elle est comme un vin un peu jeune, encore vert. Vous la regardez passer pendant des heures. Vous ne savez rien de mieux à faire dans votre vie, que ce regard qui va à l’infini, délivré de lui-même. Il y a une beauté qui n’est atteinte que là, dans cette grande intelligence proposée à l’esprit par le temps vide et le ciel pur.

    Christian Bobin

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    Comme parfois tu me regardais à la dérobée, le souvenir de ces messes demeure lié à cette merveilleuse découverte que je faisais: être capable d'intéresser, de plaire, d'émouvoir. L'amour que j'éprouvais se confondait avec celui que j'inspirais, que je croyais inspirer. Mes propres sentiments n'avaient rien de réel. Ce qui comptait, c'était ma foi en l'amour que tu avais pour moi. Je me reflétais dans un autre être et mon image ainsi reflétée n'offrait rien de repoussant. Dans une détente délicieuse, je m'épanouissais. Je me rappelle ce dégel de tout mon être sous ton regard, ces émotions jaillissantes, ces sources délivrées. Les gestes les plus ordinaires de tendresse, une main serrée, une fleur gardée dans un livre, tout m'était nouveau, tout m'enchantait.

    "Le Noeud de vipères"  François Mauriac *

     

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    Tengo tourna alors les yeux vers Aomamé, assise à côté. Ce n'était plus la fillette de dix ans, maigrelette, qui semblait mal nourrie, les cheveu sommairement coupé par sa mère, avec des vêtements qui n'étaient pas à sa taille. Et cependant, il sut en un seul regard que c'était  bien Aomamé. Ce ne pouvait être personne d'autre. Ses prunelles extraordinairement expressives n’avaient pas changé tout au long de ces vingt années. Il y avait de la vigueur en elles, une totale innocence et une transparence absolue. Des yeux chargés de conviction, pleins d'un désir ardent. Des yeux qui savaient parfaitement ce qu'ils devaient voir et qui ne laisseraient personne les en empêcher. Ces yeux plongeaient droit das les siens. Ils plongeaient dans son coeur.

    "1Q84" Haruki Murakami *

     

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  • Laura, le rayon du soleil levant brille dans tes regards, un sang de pourpre colore tes joues et le ravissement fait tomber comme des perles les larmes de tes yeux. Celui qui a vu cette douce rosée qui, à travers les larmes, contemple la Divinité, celui-là voit l’aurore apparaître à ses yeux.
    Ton âme, pure et riante comme le cristal de l’onde, change en un jour de printemps mon pâle automne. Le désert, silencieux et sombre, s’égaye à ton aspect ; les nuages obscurs de l’avenir se dorent par ta puissance ; tu souris aux harmonies de ce monde, et moi je les pleure. L’empire de la nuit n’a-t-il déjà pas enseveli les monuments de la terre ? Nos palais superbes, nos villes splendides s’élèvent sur des ossements modernes ; les œillets puisent leur doux parfum dans la corruption, et la source d’eau limpide tombe d’une sépulture humaine.   Élève tes regards vers les astres flottants, fais-toi raconter leur histoire sous leurs globes, des milliers de printemps ont déjà passé, des milliers de trônes se sont élevés, des milliers de batailles ont retenti d’un bruit sinistre. Cherche dans les campagnes la trace de ces événements : tôt ou tard brisés, les mages retournent dans le cercle des astres.
    Regarde maintenant ce soleil éclatant qui se plonge dans la mer ténébreuse. Demande-moi d’où viennent tes fraîches couleurs, d’où vient l’éclat de tes yeux. Peux-tu être fière du sang qui colore ta joue et qui vient d’un impur limon ? Ah ! la mort te prête cette fraicheur avec usure et te la fera payer chèrement.
    Ne parle pas des forts. Une joue jeune, colorée, est le plus beau trône de la mort. Derrière ces fleurs de ton visage elle prépare déjà son arc. Crois-moi, c’est la mort même que ton regard languissant appelle, et chaque rayon de tes regards consume la lampe de ta vie. Tes artères, me dis-tu, palpitent encore si vivement. Hélas ! dans leurs palpitations, elles préparent ta destruction.
    D’un souffle, la mort fera disparaître ce sourire comme le vent dissipe l’écume légère d’une eau diaprée. En vain tu demandes où est cette mort, elle est dans le printemps de la nature, dans la vie et dans ses germes. Malheureux ! je vois les roses de ta  jeunesse s’effeuiller, tes douces lèvres pâlir, tes joues, aux suaves contours, altérées par les hivers, voilées par les sombres années, je vois la source de ton printemps couverte d’un nuage sombre, alors Laura n’aimera plus et Laura ne sera plus aimable.
    Jeune fille, ton poëte reste ferme comme le chêne, le dard impuissant de la mort s’émoussera sur le roc de ma jeunesse. Mes regards seront plus ardents, mon esprit plus audacieux.
    Tu tressailles, Laura, ton cœur bat violemment : apprends donc, jeune fille, que ce bonheur dont je parle, que ce calice où je respire un arôme divin est empoisonné. Malheureux ! malheureux sont ceux qui osent faire jaillir de la poussière l’étincelle céleste. Ah ! la plus grande harmonie brise l’instrument, et cette flamme éthérée, que l’on appelle génie, ne s’entretient que des rayons de la vie.

    Friedrich Schiller "Mélancolie"

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