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    Les yeux ne parlent pas et pourtant, dans la communication humaine on leur fait tout dire ... Est-ce si insensé? La fonction du regard n'appartient en propre ni à l'un ni à l'autre : elle dans l'entre-deux, dans l'antre d'eux ... Dans cette part qui échappe à l'un comme à l'autre bien qu'elle soit aussi sous la dépendance de l'un et de l'autre. Une communication par téléphone ou par e-mail n'a absolument pas la même valeur émotionnelle qu'un échange face-à-face, pourquoi? Quand deux personnes se parlent, quel que soit l'objet de cette échange,outre le discourt proprement dit, l'une et l'autre sont attentives à tout ce qui accompagne les mots, non seulement les intonations de la voix, la prosodie, mais aussi la posture, les estes, la mimique et, couronnant le tout, le regard : il existe toujours une sorte de danse relationnelle dans l'échange des regards, dans le désengagement du regard de l'un comme pour se reposer, se reprendre, la recherche d'engagement du regard de l'autre comme étayage et renforcement des mots prononcés, le partages des regards comme engagement possible d'un accord commun : "Tu vois ce que je veux dire?"

    Ce ballet des regards et si constant, si naturel qu'il en parait évident et que, de ce fait, il reste silencieux, ne faisant pas l'objet d'une prise de conscience claire chez l'un et l'autre des interlocuteurs. En revanche, quand existent des achoppements et des anomalies, par exemple un évitement systématique de croisement des regards ou un regard vide, absent, alors rapidement un malaise s’installe, la communication semble parasitée, perdant de sa fluidité naturelle. A l'opposée, quand l'échange se trouve cadré par un contexte social précis, il n'est pas rare qu'une emprise sur le regard accompagne ce cadrage, au moins pour la personne assignée à une position hiérarchique "basse" : l'un doit baisser les yeux ou regarder droit devant lui ou encore fixer son vis-à-vis tandis que l'autre, celui  qui occupe la position haute, jouit en général d'une liberté du regard. Ainsi, dans le plus intime d'une relation égalitaire  comme dans le plus conformiste d'une relation sociale, l'échange de regards est omniprésent.

    "Les Yeux dans les yeux: L'Enigme du regard"  Daniel Marcelli.

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    Il se dessine, en fait, une hiérarchie des regards aussi peu étonnante que la hiérarchie des bureaux : les supérieurs ont l’œil sur leurs subordonnés, les subordonnés se contrôlent mutuellement.

    "Cora dans la spirale"  Vincent Message *

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    Elle le reconnait : elle parle si bas qu'elle en est à peine audible.Il faut tendre l'oreille pour comprendre ce qu'elle dit. Nous savons, elle et moi, que cette stratégie longtemps restée inconsciente répond à son besoin de capter l'attention de son interlocuteur afin de l'avoir pour elle exclusivement. Désormais elle en joue et sourit quand parfois je lui demande de répéter, en particulier quand elle a ponctué sa phrase  d'un certain "J'sais pas!" avec un air triste et abattu. Elle ne me quitte pas des yeux, ce qui me donne l'impression constante d'être "mangé du regard". Parfois mes yeux se posent sur son visage et nous croisons nos regards pendant quelques secondes, puis je porte mon propre regard sur l'extérieur : le fouillis sur mon bureau, une reproduction de Gauguin, la fenêtre et les arbres du parc... Mais je sais que son regard reste fixé sur moi. Je me sens surveillé, épié même. Il m'arrive de fermer le yeux, de poser les mains sur le sommet de ma tête et de chercher un instant de détente physique.  Être ainsi capté par  le regard d'un autre, placé sous le feu de son attention est particulièrement éprouvant, fatigant. Précisément, n'est-ce pas à cela que Sigmund Freud avait voulu échapper en s'asseyant derrière le patient qui était allongé sur le divan, évitant par ce dispositif le croisement des regards?

    "Les yeux dans les yeux"  Daniel Marcelli

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    Je ne regarde plus dans les yeux de la femme que je tiens dans mes bras, mais je la traverse à la nage, tête, bras et jambes en entier, et je vois que derrière les orbites de ces yeux s’étend un monde inexploré, monde des choses futures, et de ce monde toute logique est absente… L’œil, libéré de soi, ne révèle ni n’illumine plus, il court le long de la ligne d’horizon, voyageur éternel et privé d’informations… J’ai brisé le mur que crée la naissance, et le tracé de mon voyage est courbe et fermé, sans rupture… Mon corps entier doit devenir rayon perpétuel de lumière toujours plus grande… Avant de redevenir tout à fait homme, il est probable que j’existerai en tant que parc – sorte de parc naturel où l’on vient se reposer, laisser couler le temps.

    Henry Miller *

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    Nuits de hantise, où regorgeant de créations je ne voyais rien que ses yeux et dans ce regard, montant comme des lacs de lave bouillonnante, des fantômes s'exhalaient en surface, se fanaient, s'évanouissaient, réapparaissaient, traînant avec eux l'effroi, l'appréhension, la peur, le mystère. Image fugitive et toujours poursuivie, fleur secrète dont les plus fins limiers ne pouvaient déceler le parfum. Et derrière ces fantômes, glissant un œil parmi les broussailles de la jungle, se dissimulait une créature enfantine, diminutive. Elle faisait mine de s'offrir, lascivement. Et puis venaient le plongeon de cygne, au ralenti, comme dans les films, et les flocons neigeux retombant en rafales avec le corps, et des fantômes, des fantômes encore, les yeux qui redevenaient des yeux, lignite en flammes, puis braises qui couvent, puis doux comme des fleurs, et les narines, la bouche, les joues, les oreilles, émergeant des ténèbres du chaos, lourds comme des lunes, un masque qui se déployait, une chair qui prenait forme, un visage, des traits.

    "Sexus" Henry Millet *

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