• Les yeux

    Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,

    Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ;

    Ils dorment au fond des tombeaux,

    Et le soleil se lève encore.

    Les nuits, plus douces que les jours,

    Ont enchanté des yeux sans nombre ;

    Les étoiles brillent toujours,

    Et les yeux se sont remplis d’ombre.

    Oh ! qu’ils aient perdu leur regard,

    Non, non, cela n’est pas possible !

    Ils se sont tournés quelque part

    Vers ce qu’on nomme l’invisible ;

    Et comme les astres penchants

    Nous quittent, mais au ciel demeurent,

    Les prunelles ont leurs couchants,

    Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent.

    Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,

    Ouverts à quelque immense aurore,

    De l’autre côté des tombeaux

    Les yeux qu’on ferme voient encore.

    Sully Prudhomme *

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