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Lettre n° 2
Par Cruella dans Correspondance (1955-1966) : Alejandra Pizarnik / Léon Ostrov le 13 Septembre 2021 à 09:10[Sans enveloppe ni date. Il pourrait s’agir d’une lettre remise en main propre puisqu’elle semblerait avoir été écrite lorsqu’Alejandra Pizarnik allait encore consulter León Ostrov]
Étrange de ne pas penser à vous. Étrange de ne pas sombrer dans une angoisse innommable en pensant que je suis ici, plus seule que les pierres – elles au moins sont caressées par la mer. Mais je ne suis pas vraiment surprise. J’ai regardé la mer, je l’ai admirée malgré tout, j’ai affronté le soleil, et j’ai sérieusement contribué au sommeil des sables.
J’ai demandé à mon sang si ma vie avait quelque raison d’être. Et il m’a répondu que oui. Et le mot liberté a un sens. C’est ce que j’ai ressenti entre les rochers, près de la mer. J’ai réfléchi à la manie que j’ai de nier la vie, à ce pessimisme mesquin duquel je veux sortir. Aucun doute : ce qui est difficile c’est d’accepter la vie. D’où mes hurlements, mes horribles défenses pour l’exécrer. Mais ce n’est que par commodité.
Je voudrais plus que jamais à présent dépasser la peur infantile, l’imbécillité, en somme. Tout est si incertain et si fragile qu’il m’arrive de me considérer comme cette fillette perdue dans la mer dont parle Supervielle dans une nouvelle. La seule solution est d’être courageuse. En somme, je vais arrêter de m’analyser. Je ne sais pas si ma décision est définitive. Comment pourrait-elle l’être puisque tout disparaît ! Et qu’à chaque instant mon moi se nourrit des cendres d’un moi antérieur. *
Tags : j’ai, mer, vie, ,
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