Le tout premier à réagir à ma Lueur d’espoir fut Thierry Ardisson, à qui Bertrand avait immédiatement envoyé un exemplaire. Thierry m’invita pour un quart d’heure à Rive droite rive gauche face à un Frédéric Beigbeder déjà circonspect et jaloux d’avoir entre les mains le premier livre sur le 11-Septembre, avec cette couverture « décalée ». Comment aurais-je
Le tout premier à réagir à ma Lueur d’espoir fut Thierry Ardisson, à qui Bertrand avait immédiatement envoyé un exemplaire. Thierry m’invita pour un quart d’heure à Rive droite rive gauche face à un Frédéric Beigbeder déjà circonspect et jaloux d’avoir entre les mains le premier livre sur le 11-Septembre, avec cette couverture « décalée ». Comment aurais-je pu imaginer à ce moment-là que ça lui donnerait l’envie de faire sur le sujet un roman de rentrée littéraire, deux ans après ? À la fin de l’émission, Ardisson me prit par l’épaule dans un coin et me dit :
— Tu viens à Tout le monde en parle la semaine prochaine, je vais mettre en face de toi Moscovici, un feuj.
C’était la première fois que j’entendais ce mot. Il croyait que je me foutais de sa gueule en lui demandant ce que ça voulait dire… Et Moscovici, je ne savais même pas qui c’était. Ardisson tenait trop à ce que ma voix se fasse entendre dans ce consensus dégueulasse pro-américain.
Le grand soir arriva. Il y avait la fille de Marlène Jobert, Eva Green, complètement affolée et insipide à côté de moi. Personne n’aurait parié un dollar sur sa carrière américaine. L’affrontement avec Moscovici eut lieu, comme le voulait Thierry, mais fut plutôt feutré.
Mosco était encore un tout timide député du Doubs mais qui, chauve sérieux, faisait déjà un ministre crédible. Ardisson reprit tout de zéro, il me tira le portrait depuis le début : mon père, puis Hara-Kiri, Apostrophes, etc. Il avait raison, il ne faut jamais hésiter à tout reprendre, tout réexpliquer. Mosco faisait la grimace et pas seulement lorsqu’Ardisson me dépeignit davantage comme un fan de Rebatet que comme un de Soutine, mais aussi parce qu’il voyait bien qui était la star du soir… Il ne se dégonfla pas pour croiser le fer avec moi. Pour Moscovici, j’étais un provocateur fasciste et antisémite, mais les mots ne furent jamais prononcés.
Ah, il y avait aussi Laurent Ruquier, autre chroniqueur d’Ardisson à l’époque (ce pinoclard se doutait-il qu’il allait prendre la place du boss en noir ?), chargé de me déstabiliser en saupoudrant la conversation de ce qu’il croyait être du sel… Thierry me l’avait déjà foutu dans les pattes lors de mon débat (censuré) avec Cohn-Bendit. Il se croyait dans un numéro de chansonnier avec ses vannes, mais ne voyait-il pas qu’Ardisson, rien que par sa façon de lire des extraits de ma Lueur, me prenait très au sérieux ?
À un moment, en voulant dénoncer la volonté de corruption yankee, je mordis à l’oral une ligne non franchie dans mon texte :
— On sait exactement les relations qu’entretenait la CIA avec les terroristes, et même avec Ben Laden…
Je n’eus pas le temps de préciser qu’elles étaient mauvaises ! Ardisson lui-même me recadra justement, faisant bien la nuance entre les talibans d’Afghanistan et les mecs d’Al-Qaïda.
— C’est vrai que les Américains ont négocié avec les talibans…
— Mais complètement, lui répondis-je. Ils voulaient absolument reconnaître officiellement les talibans il y a à peine six mois.
C’était vrai mais ça ne signifiait pas pour autant que Ben Laden en personne avait été bien vu des services secrets amerloques ! Talibans n’égalaient pas Ben Laden… Dans le feu de mon verbe, je n’avais pas dissipé ce malentendu. J’avais versé dans la rumeur d’un Oussama un temps protégé par les USA, bobard propagé d’abord par RFI, ensuite par le monde entier… On ne mesure jamais assez la force pavlovienne du matraquage médiatique occidental. Même moi (même moi !), je répétais, en novembre 2001, que Ben Laden s’était fait soigner les reins à Dubaï, alors que ça n’avait jamais été vérifié : s’il était vraiment allé aux Émirats, ç’avait été sans aucun doute en secret, grâce à la complicité d’Arabes partisans de sa cause, et évidemment pas de la CIA…
À la fin de ma séquence, j’eus droit à un « anti-portrait chinois », où je traitai Bush plusieurs fois de salaud. En novembre 2001, j’étais le seul à le faire devant trois millions de téléspectateurs. À la question de Thierry « si vous étiez une arme ? », je répondis « un cutter ». La semaine suivante, Ardisson poserait la même question à Bernard-Henri Lévy qui lui répondrait très banalement « un stylo ». Thierry lui rappellerait ce que moi j’avais répondu et lui dirait que c’était intéressant de voir nos différences. « Oh, ce n’est pas la seule différence entre Nabe et moi », sourirait Lévy ce soir-là, curieusement amusé par ce rapprochement.