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Plaisirs visuels
"Le délassement, disait-il, est fait pour ceux à qui il ne vaut rien".
Il ne se souciait guère de voyager aux fins de regarder, d'emmagasiner, de "s'instruire". Il dédaignait les plaisirs visuels et autant son ouïe était sensible, autant il éprouvait peu le besoin d'éduquer sa rétine u moyen des créations de l'art plastique. Il trouvait bon et juste de classer les humains en deux types distincts : les visuels et les auditifs, et se rangeait résolument dans la seconde catégorie. Pour ma prt, ce classement ne m'a jamais paru très applicable. Je me refusais à croire le sens visuel d'Adrian fermé aux impressions et rétractile. Goethe aussi dit, il est vrai, que la musique est un don inné, une faculté intime qui ne puise pas grand aliment au-dehors et peut faire fi des expériences de la vie. Il y a cependant une voyance intérieure, la vision; elle diffère du simple acte de voir et embrasse bien davantage. En outre, il a une contradiction profonde dans le fait qu'un homme soit sensible comme le fut Leverkühn à l’œil humain - qui pourtant n'a d'éclat que sous le regard de son oeil à lui - et qu'en même temps il refuse de percevoir le monde à travers cet organe. Qu'il me suffise de citer les noms de Marie Godeau, Rudi Schwerdtfeger et Nepomuk Schneidewein. Je me représente aussitôt la réceptivité, je dirais le faible d'Adrian pour la magie des prunelles noires, bleues, et me rends d'ailleurs compte que je commets une bévue en bombardant le licteur de noms qui lui sont étrangers, appelés beaucoup plus tard seulement à s'incarner en des êtres. La grossièreté manifeste de mon erreur pourrait même faire croire qu'elle est volontaire. Mais au vrai, que signifie volontaire? J'ai conscience d'avoir introduit ces noms vides et prématurés sous l'empire d'une contrainte."Le docteur Faustus" Thomas Mann *
Tags : visuel, noms, plaisirs, vrai, croire
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