• Je ne dis pas : Il est trop tard,
    Nous avons laissé se mourir la terre,
    Elle ne portera plus
    Les fruits de la lumière
    Et ses graines de vie.
    Je dis : Le ciel demeure
    Ouvert au soleil, aux étoiles,
    Tous les arbres n’ont pas péri,
    Les feux brûlent aussi de joie.

    Je ne dis pas : Il fait si noir
    Que les hommes ne peuvent plus voir
    Le visage de ceux qu’ils aiment,
    Ils ont oublié le silence
    Mais ne savent plus se parler.
    Je dis : Chaque aube tient promesse,
    Elle te rend ce que la nuit
    Avait effacé pour toujours,
    Les fleurs, l’espoir, le goût du vent
    Sur les plages bleues du matin.

    Je ne dis pas : Les sources sont taries.
    Je dis que rien jamais n’est perdu,
    C’est à toi de creuser plus profond
    Pour que l’eau pure à nouveau jaillisse.

    Pierre Gabriel (Bordeaux, 1926-1994) 

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  • -

    Premiers soirs de printemps : tendresse inavouée...
    Aux tiédeurs de la brise écharpe dénouée...
    Caresse aérienne... encens mystérieux...
    Urne qu'une main d'ange incline au bord des cieux...
    Oh ! Quel désir ainsi, troublant le fond des âmes,
    Met ce pli de langueur à la hanche des femmes ?
    Le couchant est d'or rose et la joie emplit l'air,
    Et la ville, ce soir, chante comme la mer.
    Du clair jardin d'avril la porte est entr'ouverte,
    Aux arbres légers tremble une poussière verte.
    Un peuple d'artisans descend des ateliers ;
    Et, dans l'ombre où sans fin sonnent les lourds souliers,
    On dirait qu'une main de Véronique essuie
    Les fronts rudes tachés de sueur et de suie.
    La semaine s'achève, et voici que soudain,
    Joyeuses d'annoncer la pâques de demain,
    Les cloches, s'ébranlant aux vieilles tours gothiques,
    Et revenant du fond des siècles catholiques,
    Font tressaillir quand même aux frissons anciens
    Ce qui reste de foi dans nos vieux os chrétiens !
    Mais déjà, souriant sous ses voiles sévères,
    La nuit, la nuit païenne apprête ses mystères ;
    Et le croissant d'or fin, qui monte dans l'azur,
    Rayonne, par degrés plus limpide et plus pur.
    Sur la ville brûlante, un instant apaisée,
    On dirait qu'une main de femme s'est posée ;
    Les couleurs, les rumeurs s'éteignent peu à peu ;
    L'enchantement du soir s'achève... et tout est bleu !
    Ineffable minute où l'âme de la foule
    Se sent mourir un peu dans le jour qui s'écoule...
    Et le coeur va flottant vers de tendres hasards
    Dans l'ombre qui s'étoile aux lanternes des chars.
    Premiers soirs de printemps : brises, légères fièvres !
    Douceur des yeux ! ... tiédeur des mains ! ... langueur des lèvres !
    Et l'amour, une rose à la bouche, laissant
    Traîner à terre un peu de son manteau glissant,
    Nonchalamment s'accoude au parapet du fleuve,
    Et puisant au carquois d'or une flèche neuve,
    De ses beaux yeux voilés, cruel adolescent,
    Sourit, silencieux, à la nuit qui consent.

     

    Albert SAMAIN (1858-1900) *

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  • Le mal ! Ce n’est pas qu’abstraction, mythe ou fantasmagorie.
    Le bien n’est pas un son creux, un rêve, un fantôme.
    Tout notre passé, tout ce qui pour nous s’appelle présent
    Est inondé de leur sang et plein de leurs batailles.

    On ne saurait sur la balance peser le mal et le bien,
    On ne saurait prendre leurs mesures, forces et moyens nous manquent.
    Il pourrait être plaisant de recourir aux traits de l’allégorie.
    Mais ici à quoi bon la queue ou les griffes, Sataniel ou Moloch ?

    L’antique légende nous a montré le mal sous des peintures diverses.
    Le peuple, à sa façon, l’a figuré.
    La pensée terrifiée l’a cherché dans les ténèbres,
    Dans les sinuosités de la flamme, dans le tréfonds des eaux et des nuages.

    Ici à quoi bon l’incarnation, à quoi bon ici l’apparence,
    De la lente ou soudaine apparition des démons,
    S’il est vrai que dans la nature entière chacun des mouvements
    Est un phénomène du mal, une souffrance, une douleur, une épouvante !

    Et jusqu’aux plus purs élans des pensées pures
    Que le poison du mal frappe à mort !
    Mais tous les artifices, toutes les embûches de Satan,
    Combien ils semblent beaux, affables et généreux !

    Constantin SLOUTCHEVSKI

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  •  

    Au plus noir du bois la lune descend;
    Et des troncs moussus aux cimes des plantes,
    Son regard fluide et phosphorescent
    Fait trembler aux bords des corolles closes
    Les larmes des choses.

    Lorsque l'homme oublie au fond du sommeil,
    La vie éternelle est dans les bois sombres;
    Dans les taillis veufs du brûlant soleil
    Sous la lune encor palpitent leurs ombres,
    Et jamais leur âme, au bout d'un effort,
    Jamais ne s'endort!

    Le clair de la lune en vivantes gerbes
    Sur les hauts gazons filtre des massifs.
    Et les fronts penchés, les pieds dans les herbes,
    Les filles des eaux, en essaims pensifs,
    Sous les saules blancs en rond sont assises,
    Formes indécises.

    La lune arrondit son disque lointain
    Sur le bois vêtu d'un brouillard magique
    Et dans une eau blême aux reflets d'étain;
    Et ce vieil étang, miroir nostalgique,
    Semble ton grand oeil, ô nature! Hélas!
    Semble un grand oeil las.

    Léon Dierx *

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  • Quelle extraordinaire et belle comparaison entre le verbe " avoir " et le verbe " être " le tout en poème. Il faut pour si bien réussir une telle présentation être un expert de la langue " Française "…… " chapeau " !


    Loin des vieux livres de grammaire,
    Écoutez comment un beau soir,
    Ma mère m'enseigna les mystères
    Du verbe être et du verbe avoir.

    Parmi mes meilleurs auxiliaires,
    Il est deux verbes originaux.
    Avoir et Être étaient deux frères
    Que j'ai connus dès le berceau.

    Bien qu'opposés de caractère,
    On pouvait les croire jumeaux,
    Tant leur histoire est singulière.
    Mais ces deux frères étaient rivaux.

    Ce qu'Avoir aurait voulu être
    Être voulait toujours l'avoir.
    À ne vouloir ni dieu ni maître,
    Le verbe Être s'est fait avoir.

    Son frère Avoir était en banque
    Et faisait un grand numéro,
    Alors qu'Être, toujours en manque.
    Souffrait beaucoup dans son ego.

    Pendant qu'Être apprenait à lire
    Et faisait ses humanités,
    De son côté sans rien lui dire
    Avoir apprenait à compter.

    Et il amassait des fortunes
    En avoirs, en liquidités,
    Pendant qu'Être, un peu dans la lune
    S'était laissé déposséder.

    Avoir était ostentatoire
    Lorsqu'il se montrait généreux,
    Être en revanche, et c'est notoire,
    Est bien souvent présomptueux.

    Avoir voyage en classe Affaires.
    Il met tous ses titres à l'abri.
    Alors qu'Être est plus débonnaire,
    Il ne gardera rien pour lui.

    Sa richesse est tout intérieure,
    Ce sont les choses de l'esprit.
    Le verbe Être est tout en pudeur,
    Et sa noblesse est à ce prix.

    Un jour à force de chimères
    Pour parvenir à un accord,
    Entre verbes ça peut se faire,
    Ils conjuguèrent leurs efforts.

    Et pour ne pas perdre la face
    Au milieu des mots rassemblés,
    Ils se sont répartis les tâches,
    Pour enfin se réconcilier.

    Le verbe Avoir a besoin d'Être
    Parce qu'être, c'est exister.
    Le verbe Être a besoin d'avoirs
    Pour enrichir ses bons côtés.

    Et de palabres interminables
    En arguties alambiquées,
    Nos deux frères inséparables
    Ont pu être et avoir été.

    ....Oublie ton passé, qu`il soit simple ou composé,
    Participe à ton Présent pour que ton Futur soit Plus que Parfait.....


    Yves DUTEIL

    Joli, non ?

    Bien loin des contenus humoristiques des envois habituels.

    Vive la langue française ! le tout en poème. Il faut pour si bien réussir une telle présentation être un expert de la langue " Française "…… " chapeau " !



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