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  • Extrait

    À cette heure où comme avant le jour tout redevient calme et bleu, j’ai le regret des champs et forêts qui devaient être si proches, de l’endroit où cessaient dans la boue et l’herbe les gros pavés. Après quoi le chemin roulait entre des carrés bleus de légumes, sous les branches presque nues et basses des vergers bleus, les mêmes nuages comme des chapeaux glissant aux ras des vignes, le même ciel s’avançant en personne par les fourrés (je veux dire une vraie personne que l’on salue), comme dans ce rêve qui depuis deux ans m’est si souvent revenu, où j’atteins une dernière petite place au flanc de Montmartre – et le rêve même de la ville enfin se dévoile, et c’est ainsi : des bois sombres, des chevaux rouges, des collines et des champs dorés – on entrait dans la profondeur muette de la campagne, Gentilly, Châtillon, Montreuil, Vanves, Clamart et Saint-Cloud. Mais surtout le nord troublait à cause d’un fort regain d’espace, toutes ces plaines étirant jusqu’aux mers leurs fins sillons et, mal jointes au bord de l’Oise, au bord de l’Aisne, au bord de l’Ourcq, vides le long des routes martelées par le fer et les étoiles, gonflent et grondent encore comme d’immenses papiers d’emballage ‒ le nord.

    "Les ruines de Paris"  Jacques Réda *

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  • La Pitié disparaîtrait
    Si nous ne fabriquions plus de Pauvres;
    Et la Compassion ne serait plus
    Si chacun était aussi heureux que nous.

    Oui, la crainte mutuelle apporte la paix,
    Jusqu'à ce que les amours égoïstes se multiplient:
    Alors la Cruauté tisse un piège,
    Et répand ses appâts avec soin.
    Elle s’assoit, entourée de saintes peurs
    Et mouille le sol de larmes:
    Alors l'Humilité prend racine
    Sous ses pieds.

    Bientôt l'ombre lugubre du Mystère
    Se répand sur sa tête;
    Et la Chenille et la Mouche
    Se nourrissent de ce Mystère-là.

    Et elle porte le fruit de la Tromperie,
    Vermeil et doux au palais;
    Et le Corbeau creuse son nid
    Dans son ombre la plus épaisse.

    Les Dieux de la terre et de la mer
    Ont parcouru toute la Création pour trouver
    Cet arbre; mais ce fut en vain:
    Il pousse dans le Cerveau Humain.

    W. Blake *

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  •  

    Tous les yeux sont ardents --- sous le soleil
    Chaque jour est un jour différent
    Je te le dis pour le cas
    Où je te tromperais : quelles

    Que soient les lèvres
    Que j'embrasse, à l'heure d'amour
    A la mi-nuit noire, à qui que ce soit
    Que je jure furieusement de vivre

    Comme une mère à son enfant
    Comme fleurit une fleur
    Sans jamais promener mon regard
    Sur qui que ce soit d'autre...

    Tu vois, cette petite croix en cyprès
    Car --- tu la connais ---, tout
    S'éveillera --- à ton premier signe ---
    Sous ma fenêtre

    22 février 1915

    Marina Tsvetaeva *

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  •  

    Hyacinthe ! Ô mon cœur ! Jeune dieu doux et blond !
    Tes yeux sont lumière de la mer ! Ta bouche,
    Le sang rouge du soir où mon soleil se couche...
    Je t'aime, enfant câlin, cher aux bras d'Apollon.

    Tu chantais, et ma lyre est moins douce, le long
    Des rameaux suspendus que la brise effarouche
    À frémir, que ta voix à chanter, quand je touche
    Tes cheveux couronnés d'acanthe et de houblon.

    Mais tu pars ! Tu me fuis pour les Portes d'Hercule ;
    Va ! Rafraîchis tes mains dans le clair crépuscule
    Des choses où descend l'âme antique. Et reviens,

    Hyacinthe adoré ! Hyacinthe ! Hyacinthe !
    Car je veux voir pour toujours les bois syriens
    Ton beau corps étendu sur la rose et l'absinthe.

    « Une lettre écrite en vers libre par Mr Oscar Wilde à un ami et traduite en vers rimés par un poète sans importance », 1893.

    Pierre Louÿs *

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