•  

    Ô larmes des obsèques,
    Cris d'amour impuissants !
    Dans les pleurs sont les Tchèques,
    L'Espagne est dans le sang.

    Comme elle est noire et grande,
    La foule des malheurs !
    Il est temps que je rende
    Mon billet au Seigneur.

    Dans ce Bedlam des monstres
    Ma vie est inutile;
    À vivre je renonce
    Parmi les loups des villes.

    Hurlez, requins des plaines !
    Je jette mon fardeau,
    Refusant que m'entraîne
    Ce grand courant des dos...

    Voir... Non, je ne consens,
    Écouter... Pas non plus;
    À ce monde dément
    J'oppose mon refus !

    Paris, 15 mars-11 mai 1939

    Marina Tsvetaeva

    Partager via Gmail

    votre commentaire


  • Valses d’antan, minces fluettes
    Rythmes bercés aux jardins d’autrefois...
    Cloches d’antan, minces, fluettes.
    Fuite d’échos qu’en mon âme je vois...

    Choses d’antan subtilisées :
    Chambre déserte où se fane un parfum...
    Choses d’amour éternisées :
    Fleur de baiser qui s’effeuille en chacun.

    Voix du passé, voix incertaines,
    Comme un écho de refrains bien connus ;
    Voix qui s’en vont loin, et lointaines,

    Bons souvenirs, en allés, revenus...
    Rythmes en rond d’escarpolettes !
    Valses d’antan... pourquoi muettes ?

    Grégoire Le Roy

     

     

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire


  • Au plus noir du bois la lune descend;
    Et des troncs moussus aux cimes des plantes,
    Son regard fluide et phosphorescent
    Fait trembler aux bords des corolles closes
    Les larmes des choses.

    Lorsque l'homme oublie au fond du sommeil,
    La vie éternelle est dans les bois sombres;
    Dans les taillis veufs du brûlant soleil
    Sous la lune encor palpitent leurs ombres,
    Et jamais leur âme, au bout d'un effort,
    Jamais ne s'endort!

    Le clair de la lune en vivantes gerbes
    Sur les hauts gazons filtre des massifs.
    Et les fronts penchés, les pieds dans les herbes,
    Les filles des eaux, en essaims pensifs,
    Sous les saules blancs en rond sont assises,
    Formes indécises.

    La lune arrondit son disque lointain
    Sur le bois vêtu d'un brouillard magique
    Et dans une eau blême aux reflets d'étain;
    Et ce vieil étang, miroir nostalgique,
    Semble ton grand oeil, ô nature! Hélas!
    Semble un grand oeil las.

     

    Léon Dierx *

    Partager via Gmail

    votre commentaire


  • Jours de lenteur, jours de pluie,
    Jours de miroirs brisés et d'aiguilles perdues,
    Jours de paupières closes à l'horizon des mers,
    D'heures toutes semblables, jours de captivité,

    Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles
    Et les fleurs, mon esprit est nu comme l'amour,
    L'aurore qu'il oublie lui fait baisser la tête
    Et contempler son corps obéissant et vain.
    Pourtant j'ai vu les plus beaux yeux du monde,
    Dieux d'argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains,
    De véritables dieux, des oiseaux dans la terre
    Et dans l'eau, je les ai vus.

    Leurs ailes sont les miennes, rien n'existe
    Que leur vol qui secoue ma misère,
    Leur vol d'étoile et de lumière (1)
    Leur vol de terre, leur vol de pierre

    Sur les flots de leurs ailes, Ma pensée soutenue par la vie et la mort.

     

    Paul Eluard

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

     
    Une tristesse inexprimable
    A ouvert deux yeux immenses.
    Le vase de fleurs s’éveillant
    Nous éclabousse de cristal.

    Toute la chambre est imprégnée
    De langueur — délicieux remède !
    Penser qu’un si petit royaume
    A englouti tant de sommeil.

    Il n’y a qu’un peu de vin rouge
    Et qu’un peu de soleil de mai —
    La blancheur des doigts les plus fins
    Émiette le mince biscuit.
     
    "Tristia et autres poèmes"  -  Ossip Mandelstam *


     

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique