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    Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre
    Pour voir les champs et la rivière.
    Il n’est pas suffisant de ne pas être aveugle
    Pour voir les arbres et les fleurs.
    Il ne faut avoir aucune philosophie.
    Avec la philosophie, il n’y a pas d’arbres : il y a seulement des idées.
    Il n’y a que chacun de nous, pareil à une cave.
    Il n’y a qu’une fenêtre fermée, et le monde entier au-dehors ;
    Et un rêve de ce qui pourrait être vu si la fenêtre s’ouvrait,
    et qui n’est jamais ce qui est vu lorsque la fenêtre s’ouvre.

    F. Pessoa

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    J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
    et je n’ai rien compris au monde
    et je n’ai rien compris à l’homme,
    bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer le contraire.
    Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
    ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,
    je puis vous le dire à cette heure,
    elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
    étonnés de si peu comprendre –
    avez-vous mieux compris que moi ?

    Et pourtant, non !
    je n’étais pas un homme comme vous.
    Vous n’êtes pas nés sur les routes,
    personne n’a jeté à l’égout vos petits
    comme des chats encore sans yeux,
    vous n’avez pas erré de cité en cité
    traqués par les polices,
    vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
    les wagons de bestiaux
    et le sanglot amer de l’humiliation,
    accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
    d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
    changeant de nom et de visage,
    pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
    un visage qui avait servi à tout le monde
    de crachoir!

    Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
    se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
    rien ! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est
    qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
    parfait, avais-je donc le temps de le finir ?
    Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
    qui avait été moi, dans un autre siècle,
    en une histoire qui vous sera périmée,
    souvenez-vous seulement que j’étais innocent
    et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
    j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
    par la colère, par la pitié et la joie,
    un visage d’homme, tout simplement !
    1942

    BENJAMIN FONDANE (1898~1944)

     

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  • Toutes les fleurs veulent se changer en fruits,
    Toute matinée veut devenir soirée,
    Sur terre rien n’est éternité,
    Si ce n’est le mouvement, le temps qui fuit.

    Même le plus bel été veut voir une fois
    La nature qui se fane, l’automne qui vient.
    Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
    Lorsque le vent veut t’enlever au loin.

    Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
    Laisse les choses advenir sans heurts,
    Laisse enfin le vent qui te détacha
    Te conduire jusqu’à ta demeure.

     

    "Eloge de la vieillesse" Hermann Hesse *

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    Ce soir, an fond d'un ciel uniforme d'automne,
    La lune est toute seule ainsi qu'un bâtiment
    Perdu sur les déserts marins, et lentement
    Vogue dans l'infini de la nuit monotone.

    Ce n'est pas la clarté des monotones nuits
    Brillantes d'or fluide et de brume opaline ;
    Mais le ciel gris est plein de tristesse câline
    Ineffablement douce aux coeurs chargés d'ennuis.

    Chère, mon âme obscure est comme un ciel mystique,
    Un ciel d'automne, où nul astre ne resplendit,
    Et ton seul souvenir, ce soir, monte et grandit
    En moi, comme une lune immense et fantastique.

    Chère, nous n'avons pas été de vrais amants :
    C'est par caprice et par ennui que nous nous prîmes,
    Et pourtant, j'ai voulu te façonner des rimes,
    Bijoux sacrés, ayant d'étranges chatoîments.

    C'est qu'au fond de mon coeur mystérieux d'artiste,
    Le souvenir de ton amour pâle et banal
    Verse tomme le ciel en un bois automnal
    Un reflet alangui de clair de lune triste

    Éphraïm MIKHAËL

     

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  • Oh, Océan sévère
    Aux couleurs de ciel en colère,
    Qui semble gémir jour et nuit
    Avec un lent murmure comme un rêve qui fuit.
    Oh, Océan sévère
    Qui semble pleurer la folie
    De ce monde que l'on dit joli
    Et qui gronde lentement et se venge
    Dans une plainte éternelle et étrange.
    Oh, Océan sévère
    Qui berce une force impuissante
    Contre cette terre pleine de joie trompeuse et incessante.
    Oh, Océan sévère
    Qui berce une ambition étouffée
    Qui semble vouloir s'élancer
    Et engloutir dans un éternel oubli
    Cette terre objet de son juste courroux,
    Alors, oh! Océan sévère,
    Tes tristes plaintes et tes larmes seront taries,
    Et tu deviendras une caresse au lieu d'un océan en furie.

    Anaïs Nin (8 décembre 1915, douze ans) *

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