• TOUT DOIT DISPARAÎTRE (2) 4/5

     

    Si j’insiste sur les allures, c’est que pour moi, il n’y a que des corps… L’âme n’est pas un oiseau enfermé dans la carcasse. L’âme suinte du corps. L’âme, c’est le corps. C’est l’allure présente. Tout ce qui est présent est une âme. Tout ce qui occupe, sans le savoir ou non, la certitude vitale de son corps a une âme. Un bout de bois a une âme. Un olivier mort et l’hippopotame du palais Longchamp… Quand je dis corps, ce n’est pas le corps fier, le zob hâbleur ou le sport du mollet, mais la viande vraiment qui se dépose dans un certain ordre dans l’espace, l’attitude du bifteck dans l’éther. Pour que les choses aient une âme, pour qu’on y croie, l’esprit est obligé de passer par une représentation physique, sensuelle, présente, allégorique. L’esprit m’a toujours paru être un organe, aussi dégoulinant que les autres mais introuvable, informulé, qui n’a pas eu le temps de se fixer, souffle lourd et boueux d’un corps qui se forme, qui veut durer par le corps, comme un type souffle dans un cornet, et qu’on ne verrait pas sans son corps, car le corps n’est pas là par hasard… La vie intérieure cache même très bien ce rosbif humain animé où chaque allure a choisi de s’incarner.
     Je suis rarement surpris par un corps. Je veux dire, il m’est arrivé très rarement de me dire d’un type : « Tiens, il a bougé d’une façon inédite. » Nous déplaçons presque tous les mêmes tics dans l’atmosphère, les mêmes gestes à quelque chose près, ça se recoupe beaucoup, on roule à vide tous à mort sur une dizaine de chorégraphies et les corps se copient de génération en génération.
     Tout est physique. Le plus grand intellectuel parle pour se protéger physiquement. Toujours se fier aux apparences. Surtout aux trompeuses. Quand un physique a l’air de s’être trompé d’âme (et vice versa), c’est uniquement que les autres ne le voient pas comme il est vraiment.
     L’Allure a toujours été pour moi la vraie philosophie. J’aime chez les Jazzmen, comme chez les Burlesques, que la vie intérieure tout entière tienne à une seule et irréductible série de gestes et de comportements dans l’espace. *
     Je fais très démodé : dans une voiture, par exemple : on ne sait pas si la Peugeot est une invention extraterrestre des années 3000 ou si c’est ma présence qui la rend si moderne. Tout paraît en avance près de moi : je détonne. Ou c’est moi qui fais très futuriste et personne ne veut en convenir, ou ce sont les autres qui sont trop dans leur temps pour ne pas me considérer d’une façon si impertinente. Ça n’a rien de littéraire : voyez les autres hommes de lettres, ils conduisent, ils se mettent torse nu sur la plage, ils desserrent leurs cravates ou ils n’en mettent pas, leur poignet est paré d’un bracelet-montre, pour la campagne ils ont un jean, que sais-je…
     Se changer plusieurs fois de cravates par jour. Toujours se préparer comme si on allait au bureau ou dans une soirée. Se mettre chic pour rester chez soi. Jamais s’attifer en dégueulasse pour aller dans la boue se promener. En flanelle dans les granges, sur la plage, dans les décharges… En flanelle pour faire l’amour : cravaté, épinglé, chapeauté, ganté, rasé, lacé, repassé avec juste le Jésus de Morteau surgissant du gris lainage… Jamais sport, surtout. Jamais « décontracté » : toujours concentré, absorbé, strict, prêt à se montrer pour la dernière fois : les guillotinés, ils vont au Panier impeccable : pas plus chic qu’un condamné à mort.
     Chaussettes fines, chaussures cercueil, costume tweed, moucheté blanc et noir, chemise raide très blanche, cravate à pois imperceptibles, barrette en or, pochette, feutre gris, canne en bois… La machine est sortable, apte à délirer, il suffit de la placer dans un fauteuil, la provoquer d’un mot, tour de clé dans le dos : la marionnette classique va vous faire rentrer dans tous les cailloux ! Quel est ce gringalet féminin habillé comme un lord-businessman qui parle comme un charretier et qui vous supplie de l’héberger pour la nuit ?…
     Ne craignez rien, je suis aussi mal vu par les jeunes dans le coup que par les vieux croûtons. Invivable des deux eaux… C’est pas les asperges en manches courtes et aux socquettes sur l’astragale qui vont me voir d’un bon œil… Toute cette troupe de blettes supérieurement fades qui sont dans la phase de sport sain m’écharperaient bien s’ils pouvaient… Seulement, j’ai ma canne épée (celle de mon grand-père), le premier néo-new-wave, le premier gentillet un peu nerveux qui s’approche, je le pourfends sans botte l’atroce ! Légitime impertinence !
     Voyez ces Cadavres sur patins à roulettes, oreilles en lambeaux sous les écouteurs, escarpins, cotons phosphorescents, autant d’aquarelles ratées, mal lavées dans la laideur !
     Voilà ! Les voilà : courts cheveux gras, engoncés dans la parodie antiburlesque d’une mode masculine et féminine déjà pas terrible. Corps rigolards, bien « bâtis », petites crasses immaculées, au look cool chic, acardiaques et homos, cons kitsch qui briquent leur peau pour faire croire qu’ils savent quoi en faire. Tous ces jeunes lustrés : on dirait des grooms… Pas des grooms soutiniens !… Des grooms « spirous » !… *

    « LE WOKISMEMYLÈNE FARMER EST + METAL QUE TOI ! »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :