• TOUT DOIT DISPARAÎTRE (4) 2/4

     

    Oui je suis rempli de fascisme dans mon attitude. Je l’ai assez entendu dire pour ne pas retourner cette insulte et essayer d’en être digne ! Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Au vieux singe nazi…
     Évidemment on n’a pas arrêté de me suspecter. Mon purisme sonnait « noir », ma partialité et mon racisme m’ont souvent fait très mal voir. Sans parler de mes chichateries aristocratiques et de ma hantise du libéralisme sournois et technocrate, de mes origines italiennes, de mon goût artistique disciplinaire, de ma haine invétérée pour l’héritage de Mai 68, et de mon opposition formelle aux mésalliances qui complétaient l’indubitable tableau…
     L’épithète est stimulante. Politiquement, je ne suis pas assez nationaliste et socialiste pour faire un facho ressemblant. Pourtant humainement, tout m’y pousse : mon esthétique, ma littérature, mes idoles, ma métaphysique, mon mépris et toute ma rage, mon hérétisme, mon romantisme, mon élitisme, ma sexualité, ma gaîté, mon intolérance, ma provocation, mon pessimisme, mon énergie, ma délicatesse, mon égoïsme, mon lyrisme. Une seule chose me plaît dans le catholicisme, c’est l’inquisition. J’aime les devoirs, les pompes, l’Enfer et le Paradis. Le Purgatoire, c’est le socialisme, le centre, la démocratie, la vase…
     Politiquement, le fascisme est un mélange particulier entre une certaine droite et une certaine gauche : l’Ordre et l’Idéal. Ce qui n’est traduit de la nature humaine que par un autre mélange encore plus singulier, celui du Bon sens et de la Poésie. L’Individu fasciste (car il s’agit toujours d’un adjectif) est quelqu’un qui a en lui aussi fort le rigorisme et la fantaisie. Il n’y a qu’un « bon sens poétique » c’est le fascisme… Je vais vous dire une bonne chose : la grande fautive, c’est la Littérature. C’est par la littérature que Maurras et venu au Nationalisme intégral, c’est par la littérature que Daudet est venu à Maurras, et par elle que les maurrassiens sont devenus fascistes et les fascistes collaborateurs. C’est toujours la même histoire. Cette époque, que j’ai étudiée de fond en comble, est l’une des plus tragiquement passionnante car elle est soufflée de l’intérieur par une passion poétique si grandiose et si absurde que ses conséquences ne pouvaient pleuvoir que de travers. Je connais bien cette affaire-là, puisque je suis un très grand malade littéraire, et plus à plaindre encore que mes arrière grands pères dans une époque totalement vidée de toute substance rhétorique. J’ai suivi la littérature où qu’elle soit allée : et toujours elle m’a entraîné dans des ravins, et toujours j’ai sauté ! Je ne le regrette pas. Je ne suis patriote que d’une chose : de mes instincts. Je suis pour la barbarie de la sincérité. La bassesse de ma moralité n’est qu’une absence totale de préjugés. Je vais chercher la littérature et l’amour de la grandeur, partout où ils se trouvent, dans les poubelles historiques les plus dégueulasses. Je suis, politiquement, avec Sade et Lautréamont contre Jean-Jacques Rousseau et Zola. Je vais même plus loin : j’échange toute l’œuvre de cette répugnante ordure de Jean-Paul Sartre contre un aphorisme du juif pédé collaborateur Maurice Sachs !
     Je ne délire pas. Ne croyez pas que je sauve systématiquement les salauds, les traîtres, les pousse-au-crime, ou les vendus. J’ai mes préférences. L’enfer a ses cercles. Je ne m’abuse pas de paniers…
     Réfractaire je suis. Je me refuse à tout parti, toute doctrine, tout système. Je suis seul. Il le faut. Je n’aime que les viscéraux, pas les opportunistes. *
     Voyez les déclarations inouïes de Suarès sur le Jazz ; l’ambiguïté de Pirandello ; la non-ambiguïté d’Ezra Pound ; la demi-non-ambiguïté des frères Chirico… Toutes sortes de choses… Je crois que les individus les moins réactionnaires attirent le fascisme, le provoquent dans ses causalités. Une chose m’avait beaucoup frappé, c’est Pasolini habitant à Rome dans un appartement mussolinien.
    Et pour en rester à la glorieuse France, on peut reconnaître dans un simple triumvirat appartenant à la littérature, et représentatif au plus haut point de l’exacte teinte, la plus impeccable texture, le parfum le plus précis et le plus suffisant, et porté dans ses plus admirables conséquences, de cette impulsion typiquement humaine dont peu d’êtres peuvent se certifier épurés.
     Oui : les Trois Grands Méchants Loups ! Robert Brasillach, Drieu la Rochelle et Lucien Rebatet !
     Robert Brasillach : « Je suis Brasillach Partout ! » Jésus épuré, l’Exemple !… Jean Zay à l’envers ! Quelle poésie ! Quel bel exécuté ! Avec lui, le mot « collaboration » reprend à l’anecdote toute sa signification : on lit là la grammaire même collabora-tionniste, la vraie prosodie de toute la syntaxe fasciste-nazie… On ne fera jamais mieux… Robert Brasillach ou « Comment faire collaborer les mots ! » Fascisme antique et péplumesque, un peu sentimental. Ça se lit assez mal cette conjugaison.
     Drieu est un peu plus puissant quand même. Drieu avec un « R » comme dans « Merdre » ! Drieu le Dieu, le romancier don-juanard, le roi du récit facho… Il est extrêmement surestimé Drieu : il sert de prétexte total à beaucoup de petits cons « républicains » de notre époque. Il est l’incarnation type de ce romantisme fasciste, cette « séduction » par la fragilité, l’angoisse, le complexe d’action, etc. Ça le rapproche des autres merdeux comme Malraux, Montherlant : le hasard seul l’a déporté dans l’autre camp (le bon) où il continue de briller de ses mille feux. Drieu fait beaucoup de mal, d’abord parce qu’il permet d’assouvir le fascisme surréaliste et romantique de tous les coupés qui n’ont pas les couilles de lire Céline ; et aussi par ce que sa destinée de petit raté égaré, chien batifolant dans toutes les directions, renforce les ambitions des plus nuls d’entre eux. Bien accroché à l’actualité, « écrivain d’action », on lui trouve toutes les excuses parce qu’ils ne comprennent pas, ces imbéciles, que n’importe quelle page de Avec Doriot vaut n’importe quelle page de Gilles : l’écriture de Drieu, si pute, est là pareille, tout entière : les jeunes snobs dandys puants de la vieille droite bégueule choisissent soigneusement leurs transfusions. Dirk Raspe adore les Juifs ! Chez Drieu le fascisme est rivé, capricorniènement rivé même, à tout un complexe héroïco-séminal : je reconnais entre mille un fanatique de Drieu, celui qui ne veut voir que le « Grand écrivain », mais qui en cachette approuve secrètement le Paumé si féminin : c’est toujours le jeune homme de bonne famille plein de cheveux propres et soyeux, faussement élégant et skieur de femmes, absorbé responsable, concerné par les problèmes du monde, extrêmement bourgeois d’âme et de cœur, anticosmique, anticélinien, le droitier type, dans toute sa splendeur nostalgique… Ils ne sont pas trois parmi les milliers de « Rochelliens » à regarder en face le Déat qui sommeille en eux, tassé comme il est par la gloire du Suicidé Héroïque ! D’ailleurs, remarquez-le bien, personne ne lit Drieu la Rochelle parce qu’il est fasciste. Au contraire, tous les lecteurs de Drieu aiment Les Chiens de Paille, malgré son fascisme, et pas à cause de lui, pour trouver justement ce qu’il y a de fasciste dans son écriture, ce que le fascisme fait à l’écriture.
     Si je tape un peu sur Brasillach et sur Drieu, c’est que leurs auréoles – toutes maudites qu’elles soient – ont ébloui d’une certaine manière celle de Lucien Rebatet. Brasillach a peut-être sauvé Rebatet du poteau, mais par là en a fusillé la renommée littéraire. Les romans de Drieu ont « descendu » les Deux Étendards. Il faut le dire. *

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