Regardez-les aujourd’hui ces affreux individus, ces héritiers de la Droite conservatrice, ces petits merdiques aussi bien dans la politique que dans la littérature, ces petites envergures énarques, ces « fachos » réacs, sobres, pleutres et hyper-bourges ridics, les stylés Science-Po (ghetto insupportablement puant) et les hussards divers, surdoués sousémus de la vingtaine à la future Répression ou, en littérature, ces sexagénaires éthyliques cocorigrotesques, « possédés » par le persiflage infantile et la dignité rhétorique de leurs rots divers. Ce ne sont pas eux qui nous montreront le bout du nez de la frénésie fasciste : pas assez d’introspection couillue pour ça… Rebatet, je vous dis ! Rebatet ou le Fascisme fasciste ! En plus il se paie la performance d’entamer le catholicisme dans son roman ! Les deux pôles : le Christianisme, le Fascisme : pour le même prix ! D’un fusil douze balles, plus une !… Il a vraiment tout pour lui ! Dire qu’on voulait le tuer ! Un spécimen pareil ! Dans une cage, vite, interwiews, thèses à l’air, autopsies, questionnaire !… Ce n’est pas un hasard, si des trois grands-pères du Faisceau, seul Rebatet survécut. Le plus dangereux !… Comme si, malgré tout, la France avait encore à la fois besoin de ses services et surtout peur de sa béatification éventuelle… Ce qui est remarquable avec Rebatet, c’est qu’il n’a pas été sauvé par la malédiction.
Qu’il se rassure, à la droite du Diable, mieux vaut avoir laissé au monde décombres et étendards que n’importe quelle sage production de « tête haute » qui gagne la gloire en contournant la subversion.
Panfasciste on peut dire qu’il était ! Son œuvre a la certitude de l’urgence.
Moi je la trouve très suffisante, achevée, colossale et brève en trois volumes (un pamphlet, un roman, une histoire de la musique)…
Ce ne sont pas des Décombres qu’écrit Lucien Rebatet. Ce qui l’intéresse c’est l’étendard. Planter l’étendard. Son livre c’est un des étendards possibles, sur des décombres. Un deuxième étendard viendra : ce sera Les Deux Étendards. Il ne reste rien des Décombres. Le parthénon intact, il devait être d’une de ces laideurs !…
Lucien Rebatet est une curiosité. C’est en 3 bouquins énormes, 3 véritables parpaings à votre chevet, le parfait traité de stylistique fasciste. Je regarde ces trois livres comme des concasseurs de balayures, ou plutôt comme des chiottes chimiques, vous savez le trône s’emporte partout : les merdes sont dissoutes comme par miracle, sans tirer aucune chasse, l’excrémentiel est volatilisé, juste un peu d’eau au fond, bleutée très pure, c’est chimique !
Voilà cette écriture, celle qui veut laver, briquer, faire disparaître la pourriture au lieu de mettre le nez du lecteur dedans et avec lui se salir, avec lui prendre le risque de s’en fasciner. On ne se relève pas de Rebatet. Lisez donc cette prose toute en munitions : il fait tourner une littérature « française », une littérature claire et dense, « pure », lyrique mais pas trop, une rhétorique véritablement « fasciste » qui en dit plus que toutes les exégèses hitlériennes, mussoliniennes, tous les relevés de Procès… Une rhétorique autoritaire et bien poncée, maniaquement. Là on voit vraiment que Céline n’est pas vraiment « fasciste ». Il s’en fout pas mal de Stendhal et de la prose en général.
Antisémitisme, Collaboration, Nazisme, Hitlérisme, Camps, Tortionnaires, Milice, Résistance : quelle est cette symphonie grotesque dont on nous tanne, ce wagnérisme bon enfant bien compact devant la vraie question ?… Moi, je n’ai jamais été fasciné par Hitler : je n’ai rien du tout de l’exégète, du trifouilleur d’histoire, du connaisseur indigné, subtil, illuminé par l’énormité, arriviste sordide du « Comprendre »… Il n’y a qu’une chose que je trouve essentielle, je vous l’ai dit : c’est le fascisme, c’est-à-dire ce virus humain et particulièrement français, comme si la France était la seule race à pouvoir l’alimenter. L’alimenter de quoi ? De sa littérature bien sûr ! Car c’est mon sentiment qu’il y a beaucoup de littérature dans le fascisme : c’est vérifiable de Barrés à Rebatet. C’est la littérature et elle seule qui a le mieux exprimé le fascisme. Quand on lit Les Décombres, mais aussi Les Deux Étendards, le grand roman nietzschéen de Rebatet écrit à Fresnes, on assiste aux premières loges à sa « version originale » ! Les Deux Étendards sont le plus grand roman depuis Mort à Crédit. Enfin un vrai roman, pas un essai de roman, le journal d’un roman, un contre-roman, un nouveau roman, mais un grand véritable navire romanesque, rempli de personnages, avec une histoire, un suspens, des thèmes, une philosophie, un témoignage, des situations de la psychologie, des visions… Dans la grande tradition. Bien sérié sur la question romancée. Magnifique. Symphonique. Rebatet a vécu assez vieux pour se considérer lui-même comme un document. Même s’il y pensait, il n’avait plus la foi pour écrire de seconds décombres, ou un troisième étendard à la dégloire des années soixante. Il est assez incroyable de penser qu’un type comme ça, si ficelé à une époque qui pour nous est fantômale, ait pu assister aux événements de Mai, aux cheveux longs, à la chute d’Ubu, au Free-Jazz, le Vietnam et Israël !… C’est comme avec Céline, quel est l’hypocrite fils de crémière bornée qui n’avouerait pas avec moi donner cher pour regarder aujourd’hui les actualités à la télévision avec le Cuirassier, là, à côté, rien que le regarder regarder les reportages sur le Pape, les attentats antijuifs, les « génies » honorés, le Liban, l’Iran, la mode, le sport… Il est mort trop tôt : il est parti aux Chinois et à Sacha Distel. On crève tous de n’avoir plus de Céline pour voir notre époque.
Le moment n’est pas à la bagatelle. Ce n’est pas demain que Lucette ressort les pamphlets. C’est trop tôt. Ce qu’on ne pardonne pas à Rebatet, pas plus qu’à Céline dont le Génie n’a jamais mis en doute la consécration un jour ou l’autre définitive, – c’est à l’intérieur de leurs énormités d’avoir dit des choses tragiquement vraies sur les Français. On s’intéresse trop à Céline en ce moment pour relire les Pamphlets. Pourtant, Céline était moins efficace que Rebatet. Les Génies sont toujours inefficaces. Le Talent de Rebatet permet une réédition amputée. Le Génie de Céline interdit la réédition. La Peur sacre les limites. Non, décidément : on ne peut pas aller plus loin que Rebatet et Céline. Et quand vous voyez sur des photos, Lucien Rebatet en 1956 à Meudon chez Louis-Ferdinand Céline, l’un déguisé en mélomane l’autre en mendiant, vous imaginez ce qu’en privé ils pouvaient se dire !
Mais tout ça est bien fini ! Deux patriotes en train de s’énerver sur un drapeau, ça n’existe plus. *