• Un vieil ours (3)

     

    Ils arrivèrent à une sombre forêt de mélèzes, les petits poneys d'Espagne happant l’air mince, et juste au crépuscule au moment où le cheval de Glanton enjamba un tronc d'arbre écroulé, un ours blond et maigre surgit d'un bas-fond de l’autre côté; là où il était à sa viandée, et abaissa sur eux ses yeux glauques de goret.
    Le cheval de Glanton se cabra et Glanton se plaqua sur l'épaule du cheval et sortit son revolver. Juste derrière lui venait un des Delaware et le cheval qu'il montait avait ralenti le pas et le Delaware essayait de tourner bride en lu martelant la tête avec son poing fermé quand l'ours braqua sur eux sa longue gueule à l'articulation muette, figée dans une expression d'inconcevable stupeur, une énorme bouchée se balançant à sa mâchoire et ses babines rouges de sang. Glanton fit feu. La balle atteignit l'ours à a poitrine et l'ours se pencha en poussant un étrange gémissement et saisit le Delaware et le souleva de son cheval. Glanton tira encore une fois dans l'épaisse collerette de fourrure en avant de l'épaule de l'ours à l'instant où le fauve tournait sur lui-même et l'homme suspendu entre ses mâchoires les regarda, sa joue contre le museau de la bête et un bras passé autour de son cou dans un geste d'insolente fraternisation comme un transfuge fou. Une tempête de cris à travers les bois et le choc des coups frappés par les hommes sur les chevaux hurlants pour les ramener à l'obéissance. Glanton armait son revolver pour la troisième fois quand l'ours s’élança en serrant dans sa gueule l'Indien qui se balançait comme une marionnette et l'ours sauta par-dessus Glanton dans un océan de poils mordorés souillés de sang et dans une puanteur de charogne et dans l'odeur terreuse qui était l'odeur même de la bête. Le coup de feu claqua et fut répercuté par l’écho, mince noyau de métal lancé vers les lointaines rocades et matière tournant en silence à l'ouest au-dessus d'eux tous. D'autre détonations claquèrent et en quelques bonds macabres la brute s'enfuit avec son otage dans la forêt et disparut dans la noircissante pénombre des arbres.
    Les Delaware traquèrent le fauve trois jours durant tandis que le détachement continuait. Le premier jour ils suivirent du sang et ils virent l'endroit où la bête s'était reposée et où ses blessures s'étaient taries et le lendemain ils suivirent les traces du rapt sur l'humus des hautes terres boisées et le surlendemain ils ne suivirent que des marques indistinctes sur une haut plateau pierreux et ensuite plus rien. Ils quêtèrent un signe jusqu’à la tombée de la nuit et ils dormirent sur les silex nus et le jour suivant ils se levèrent et fouillèrent du regard tout ce pays sauvage et rocailleux du côté du nord. L'ours avait emporté leur frère de sang comme ces bêtes fabuleuses des livres de contes et la terre les avait engloutis sans espoir de rançon ou de sursis.

    "Méridien de sang" Cormac McCARTHY

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