• "Vie amoureuse" (8)

     

    Et si mon expérience en matière amoureuse(formulation que je préfère à celle de "vie amoureuse", qui j'y reviens encore, tend à faire penser que nous avons à notre disposition des vies indépendantes les unes des autres et dont la réunion en faisceau, tenue par une main absente, constituerait la somme d'intensités et d'illusions qu nous appelons l'existence) ne me permettait pas de croire à la réciprocité absolue de l'amour, laquelle se heurte à des réticences, des retards, des différences d’intensité, voir des incompatibilités sexuelles qui font de l'amour partage la plus belle mais aussi la plus grandes des illusions, force n'était de reconnaitre que certaines femmes(souvent les plus jeunes) ont une si bouleversante façon de se donner qu'elles suscitent en retour un amour dont la nature, la qualité, la durée même, nous délogent de l'indifférence où nous serions resté si elles n'avaient pas eu tant d'audace et par laquelle nous nous étonons nous-même, comme dit la langue. L'amour ne naît ni ne s'éteint: il est toujours là, en nous, comme une idée en soi, quelque chose de massif, de complet, d'abstrait, un minéral promis à la fusion au contact d'un autre minéral, ou bien à une combustion solitaire; et, dans quelque état qu'il se trouve en nous, qu'il brûle ou qu'il pèse, obéissant au temps tout en existant en lui-même, jouissant d'une liberté qui le rapproche de l'innocence pour peu qu'on accepte de renoncer à la chronologie simpliste qui régit la vie ordinaire, l'amour veut l'éternité, et la récente manie que nous avons de regarder l'heure à tout moment et partout est une des choses qui, ajoutées à l'oubli de Dieu, contribuent rendre fragile le sentiment amoureux, de même que le sommeil demande la nuit obscure et le silence, toutes choses qui n'existent plus dans nos chambres où veille toujours la lueur rauge ou bleuâtre d'un appareil à quartz au sein d'un silence qui n'a pas la qualité quasi céleste de celui de Siom.
    C'est pourquoi, s'agissant de Marina (de cet événement extraordinaire qu'est le surgissement de cette femme dans ma vie, pour moi qui avais cru régler une fois pour toute ce qui me restait de temps sur celui que j'accordais à l'écriture, à la lecture, et à des amours éphémères dont je pensais qu'elles étaient les seuls qui me fussent accordées), je devais admettre qu'une femme est avant tout l'autre figure du temps, sa dimension toujours nouvelle, et qu’il me fallait descendre dans ce temps comme Marina descendait dans mon passé et dans ce qu'elle appelait la préhistoire de notre amour, sans se cacher de ce qu'elle éprouvait pour moi, n'hésitant plus à prononcer ce mot qui lui venait de son enfance limousine, de toutes ces années qu'elle avait dû traverser pour arriver jusqu'à moi et du bond dont j'étais capable, moi, chaussé de bottes d'ogre, pour être là, devant elle, plus nu dans ce que je disais que dans la nudité de mon corps, tandis qu'elle, Marina, n'était jamais aussi nue que lorsqu'elle se taisait après l'amour, les cuisses encore ouvertes et humides, et m'écoutant lui dire, à sa demande, ce que mes livres  passaient sous silence. Elle supposait entre mes livres et moi assez de distance pour que se dessine un vérité qu je ne livrerais qu'à elle...

    "Ma vie parmi les ombres" Richard Millet

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