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Vïï (3)
Les jours de grande fête, séminaristes et boursiers s’en allaient dans les bonnes maisons montrer les marionnettes. Quelquefois ils jouaient eux-mêmes la comédie où, dans les rôles d’Hérodiade ou de la femme de Putiphar, se distinguait toujours quelque grand flandrin de théologien, à peu près aussi haut que le clocher de Kiev. On leur offrait en remerciement une pièce de toile, un sac de millet, une moitié d’oie rôtie et d’autres bagatelles. Tout ce peuple savant – le séminaire comme la bourse, en dépit de la haine héréditaire qui les divisait – souffrait d’une extrême gueuserie jointe à une voracité sans pareille : le nombre des rissoles que chacun d’eux absorbait à son souper défiait tout calcul ; les offrandes des riches propriétaires ne pouvaient donc suffire à leur consommation. Alors le sénat, à savoir les philosophes et les théologiens, envoyait, sous la conduite d’un philosophe, les grammairiens et les rhétoriciens remplir leurs sacs dans les potagers de la ville ; il lui arrivait même de diriger les opérations in corpore. Ces soirs-là, la bourse faisait une galimafrée de citrouilles ; quant à messieurs les sénateurs, ils s’empiffraient à tel point de melon et de pastèque que le lendemain ils récitaient à leurs répétiteurs deux leçons au lieu d’une : tandis que leurs lèvres marmonnaient la première, la seconde rognonnait dans leur estomac. Boursiers et séminaristes portaient le même accoutrement : une sorte de longue lévite qui s’étendait « jusqu’à nos jours », terme technique qui voulait dire : plus bas que les talons.
De tous les événements de l’année, le plus solennel, c’étaient les vacances qui commençaient au mois de juin. À cette époque toute la bourse regagnait d’ordinaire ses pénates ; la grande route se couvrait de grammairiens, de philosophes, de théologiens ; celui qui n’avait pas de foyer était l’hôte d’un camarade. Les philosophes et les théologiens partaient « en condition », c’est-à-dire qu’ils allaient donner des leçons aux fils de riches campagnards qui leur octroyaient en retour une paire de bottes, parfois même de quoi se payer une lévite. La confrérie voyageait en troupe, cassait la croûte en pleins champs et dormait à la belle étoile. Chacun d’eux portait un sac qui contenait une chemise et une paire de bandes molletières. Les théologiens se montraient particulièrement économes et soigneux pour ne pas user leurs bottes, surtout quand il y avait de la boue ; ils les portaient sur l’épaule, pendues à un bâton, et, retroussant leurs culottes jusqu’aux genoux, pataugeaient intrépidement dans les mares. Un village apparaissait-il à l’horizon, ils abandonnaient aussitôt la grande route, et s’alignant devant la maison de meilleure apparence, ils entonnaient à tue-tête une complainte. Le maître du logis, quelque vieux Cosaque laboureur, les écoutait longtemps, la tête appuyée sur les deux mains, puis il se prenait à sangloter et se tournant vers sa ménagère :
« Femme, lui disait-il, ce que chantent les écoliers est vraiment bien édifiant. Donne-leur donc du petit salé et ce que nous pouvons encore avoir en fait de mangeaille. »