• Villa Médicis et Pavillon Mimile

     

    Est-ce vrai, ce que l'on m'a dit?
    Il parait que les prix de Rome qui quittent la Villa Médicis, après un temps convenable de macération, repartent imbibés des canon de la beauté pour le restant de leurs jours.
    Puisque l'environnement possède un tel pouvoir, la découverte de l'harmonie n'est pas chose facile quand, dès la petite enfance, l'oeil s'ouvre sur un monde où règne le style chaos flamboyant, avec tout son bric-à-brac de guingois fait de décrochement, de rajouts, de toits d'usines en dents de scie et de clôtures en ressorts de sommier.
    Pour les leçons de belles manières, les petits camarades des terrains vagues ne m'étaient d'aucun secours.
    Un peu plus tard à l'école, on m'a parlé d'urbanisme et de fonctionnel. Alors la machine à habiter dans laquelle j'étais coincé m'a paru tout juste bonne pour la casse.
    Vraiment, mes copains et moi-même nous méritions mieux que ces décors repoussoirs, avec leurs assemblages extravagants. Ils pouvaient cependant paraître cocasses à quiconque possédait cette vitalité de chiendent qui me commandait de les engranger dans le Rolleiflex récemment adopté.
    Fini le temps de la chambre en bois. Le voile noir était jeté aux orties. C'est le coeur battant que j'ai osé sortir d son sac cet appareil au gainage brillant. Tous deux nous étions neufs dans les vieilles rues.
    Voir dans le dépoli passer les silhouettes me donnait de l'audace. Oh! toute relative, car le nez dans le capuchon du viseur permettait une attitude respectueuse, presque une génuflexion, qui convenait à ma timidité et protégeait la fragilité de l'instrument.L'un et l'autre perdant petit à petit notre vernis, nous allions faire ensemble un bout de chemin.
    Bien sûr, il faut être soi-même un pur produit de la banlieue, comme elle un agglomérat de scories, pour être gagné... par l'exaltation, en marchant, en marchant dans les rues Jean-Jaurès ou Benoît-Malon, toutes pareillement bordées de pavillons en mâchefer, avec leurs grilles derrière lesquelles gueule le berger allemand.
    Faire de l'ironie sur le pavillon Mimile, c'est céder à l'esprit chansonnier. Si l'on refuse cette médiocrité, il faut se planter devant ces décors provisoires, en attente de métamorphose, et regarder, regarder jusqu'au tournis. Alors on décèle la force de ces terrains mouvants, une force semblable à celle de l'océan, capable d'absorber la pire marée noire.
    L'acidité de la banlieue peut digérer aussi bien un champ d'épandage qu'un chantier de casseur de voitures.
    La première chose que font les voyageurs débarquant dans les paradis touristiques, exotiques - je ne les connais que par les magazines - est d'envoyer une carte postale à leurs amis. En avant le carnaval de Rio, le moine du Mont Athos, le safari au Kenya et le Jivaro miniaturiste, que sais-je encore.
    Pour montrer l'exotisme de la périphérie et les costumes des indigènes, il n'y avait que très peu de cartes postales. J'ai donc été obligé de m'y employer.
    J'ai eu la maladresse de les montrer à des banlieusards, et, là, je n'ai rencontré qu'un manque total d'intérêt. Ma jubilation de découvreur de trésor n'était pas communicative.

    "A l'imparfait de l'objectif"  Robert Doisneau

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