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Par Cruella le 2 Novembre 2024 à 09:30
La légende de la Vieille Morte est sans aucun doute une des plus célèbres et des plus cruelles légendes des Cévennes.
En des temps très reculés, une fée avait élu domicile au sommet du Mont Mars. cette fée avait parfois de violentes sautes d'humeur, ce qui lui avait valu le qualificatif de "méchantasse".
On raconte que malgré son âge avancé, une femme veuve des environs de Saint-Germain-de-Calberte, avait commis une faute et mis au monde un enfant. Pour la punir, la fée locale la condamna à arracher de ses mains une énorme pierre des flanc du Mont des Laupies (grosses pierres plates) et à errer sans trève jusqu'à sa fin, avec son enfant, son fardeau, son chien et son âne. Lourdement chargée la vieille part, mais l'enfant trop frêle encore pour supporter les fatigues d'un tel voyage, meurt bientôt au col dénommé Plan-de-Fontmort (d'éfont mort).
Le chien tomba dans une fosse dite"Cros del chi". La pluie tombant comme elle sait tomber en Cévennes, la vieille s'abrita à "Escota se plou" (écoute s'il pleut). Continuant sa course que rien ne devait interrompre, la pauvre femme s'engage dans la vallée où coule le ruisseau affluent du Gardon de Saint-Germain. Arrivée au sud du village, elle veut franchir la rivière, mais l'âne perd pied et se noie d'où le nom de Négase (noie âne) qui est resté à ce lieu.
Quant à la vieille elle s'endormit sur une crête appelée depuis "mortdeson" (mort de sommeil), puis tenta de continuer.
Poursuivant péniblement son chemin, écrasée par le poids de sa pierre, la vieille entreprend l'ascension de la montagne. Avant d'atteindre le sommet, épuisée, elle abandonne son fardeau qui se transforma en menhir.Pleurant de terreur, et faisant naître de ses larmes le "Valat de las Gotas"(ruisseau des gouttes), la vieille arrive alors au sommet de la montagne où elle est tuée par la fée sans pitié. La montagne porte aujourd'hui le nom de la "Vieille morte" : un rocher est encore désigné sous le nom de "Pierre de la Vieille".Les légendes en cévennes *
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Par Cruella le 9 Octobre 2024 à 09:40
La famille Meng planta un jour une courge le long du mur de son jardin. La floraison fut magnifique et d'une fleur naquit un fruit exceptionnellement gros. Lorsqu'il arriva à maturité, d'un joli jaune d'or, la famille Meng décida de le cueillir. Mais en coupant le fruit, quelle ne fut pas la surprise des Meng de trouver en son cœur une adorable petite fille. Ils décidèrent de l'élever et la baptisèrent du nom de Djang.
Les Meng vivaient sous le règne de l'empereur Shihuang, célèbre pour son injustice et sa cruauté. Craignant les Huns qui ne lui laissaient pas de répit et las de leurs invasions incessantes, l'empereur décida de construire un mur le long de la frontière nord de la Chine. Hélas ! les architectes n'étaient guère brillants et à peine avait-on terminé une partie du mur qu'une autre s'écroulait. Les années passaient et le mur n'était toujours pas terminé.
Un jour, un sage du royaume vint trouver l'empereur et après s'être incliné respectueusement devant lui, il dit : « Sire, on ne peut construire un mur devant s'étendre sur dix mille lieues de longueur sauf si dans chaque bloc d'une lieue on enferme un homme. L'esprit de l'homme veillera alors sur ce bloc et le mur deviendra indestructible. »
L'empereur, qui ne se souciait guère de son peuple, trouva l'idée excellente et décida de la mettre en œuvre immédiatement. Dans chaque région, chaque ville, chaque maison, ce fut l'horreur. Des hommes, des jeunes filles, des garçonnets furent saisis et emmurés vivants.Un autre sage du royaume vint trouver l'empereur et après s'être incliné respectueusement devant lui, il dit : « Sire, votre façon d'utiliser le peuple pour édifier votre mur terrifie le pays tout entier. Il se pourrait qu'il se révolte avant même que le mur ne soit terminé. Mais j'ai peut-être la solution. Un homme nommé Wan demeure non loin du palais. Or, vous n'êtes pas sans savoir que Wan signifie « dix mille ». Si vous prenez cet homme, il suffira à lui seul pour les dix mille lieues puisque Wan — dix mille — est son nom. »
L'empereur se réjouit de cette sage parole et ordonna d'aller chercher ce Wan et de le conduire au mur. Prévenu par des amis, le jeune homme prit la fuite. Après avoir couru fort longtemps, il finit par se réfugier dans un jardin où les grandes feuilles d'un bananier paraissaient une cachette idéale. Or, ce jardin n'était autre que celui des Meng. Un soir, alors que la lune était pleine, la belle Djang, devenue une superbe jeune femme, descendit dans le jardin. Wan l'aperçut et aussitôt, il en tomba éperdument amoureux. Il descendit de sa cachette et lui demanda de devenir sa femme. Djang accepta et ils se marièrent dès le lendemain.
Ils étaient en train de célébrer joyeusement leurs noces lorsque les soldats de l'empereur firent irruption dans le jardin et s'emparèrent de Wan qu'ils emmenèrent près du mur. Restée seule, Djang Meng était profondément malheureuse. Même si son union avait été de très courte durée, elle pensait à son époux avec nostalgie et sentait au fond de son cœur un amour sincère, véritable et immense.
Désespérée, elle décida de partir à la recherche du corps de son mari. Elle affronta les éléments : la pluie, la neige, les brûlures du soleil. Elle traversa les plaines et les montagnes, les fleuves et les lacs et parvint au prix de grandes souffrances et de fatigues au pied du mur. Devant un édifice aussi immense, elle se demandait comment retrouver les restes de son bien-aimé. Découragée, elle s'assit sur une pierre et se mit à pleurer. Le mur, ému par tant de chagrin, s'écroula, laissant apparaître les os de Wan.L'empereur ne fut pas long à apprendre l'histoire de la femme qui avait cherché son époux par monts et par vaux ainsi que l'effrondrement de son mur. Intrigué, il vint en personne voir Djang, et éperdu d'admiration devant sa beauté, il lui demanda de devenir impératrice.
Djang savait qu'elle ne pouvait résister à la volonté de l'empereur. Elle posa diverses conditions pour cette union : une fête des morts de quarante-neuf jours devait être célébrée à la mémoire de son époux ; l'empereur et tous les sujets de la cour devaient prendre part aux funérailles, une terrasse devait être construite sur les rives du fleuve, car Djang souhaitait pouvoir offrir des sacrifices aux morts en souvenir de son époux défunt. L'empereur accéda à toutes ses demandes tant il était désireux qu'elle devienne son épouse.
Lorsque la terrasse fut prête, Djang y monta et, à la stupéfaction de tous, maudit à haute voix l'empereur Shihuang d'avoir été si cruel et si injuste. L'empereur contint sa colère et ne dit rien. Les sujets qui entendaient ces paroles étaient sidérés, mais au fond d'eux ils approuvaient les propos de la jeune femme. Lorsqu'elle eut terminé sa tirade, Djang plongea du haut de la terrasse dans le fleuve. L'empereur entra alors dans une terrible colère, ordonnant à ses soldats de repêcher son corps et de le couper en petits morceaux. Les soldats s'exécutèrent immédiatement mais tous les morceaux se transformèrent en poissons d'or et c'est à travers eux que l'âme de la fidèle Djang continue à vivre pour toujours. *
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Par Cruella le 6 Septembre 2024 à 09:30
C’était dans les temps anciens, dans une contrée lointaine et inconnue.
Une nuit noire éternelle régnait sur le pays ; des brouillards méphitiques s’élevaient de la terre et se répandaient dans l’air. Les hommes naissaient, grandissaient, aimaient et mouraient dans les ténèbres humides. Parfois le souffle du vent dissipait les lourdes émanations de la terre et, du ciel éloigné, les étoiles lumineuses semblaient regarder les hommes.
C’était alors une fête générale : ceux qui d’ordinaire restaient dans la solitude de leurs demeures sombres comme des cavernes, se réunissaient sur la place pour chanter des hymnes au ciel.
Les pères montraient les étoiles à leurs enfants et leur enseignaient que la vie et le bonheur de l’homme est dans l’aspiration qui l’attire vers elles. Les jeunes hommes et les jeunes filles regardaient alors fixement le ciel et, de l’obscurité qui écrasait la terre, leurs âmes s’élançaient vers lui.
C’est aux étoiles que les prêtres adressaient leurs prières et les poètes leurs chansons. Les savants étudiaient le chemin des étoiles, leur nombre et leur grandeur. Or ils avaient fait une découverte importante : « Les étoiles se rapprochaient de la terre par une marche lente, mais ininterrompue. Ils avaient établi, d’après des sources indiscutables, que dix mille ans auparavant on aurait eu du mal à distinguer le sourire sur le visage d’un enfant à un pas et demi de distance, alors que maintenant chacun pouvait l’y distinguer aisément, même à trois pas. Ainsi il était hors de doute que, dans quelques millions d’années, le ciel resplendirait de lumières vives et que le règne de la clarté rayonnante éternelle arriverait sur la terre. Tous vivaient avec patience dans l’attente de cet heureux temps et mouraient dans cette espérance.
Ainsi pendant de longues années la vie calme et tranquille des hommes s’écoula, réchauffée par une douce croyance dans les étoiles lointaines.
Or, une fois que les étoiles brillaient dans le ciel particulièrement claires, que l’âme de la foule s’élançait vers la clarté éternelle dans une vénération muette, une voix retentit tout à coup :
« Frères ! disait cette voix, comme il fait clair et merveilleux dans les hautes vallées du ciel ! Comme il fait humide et obscur chez, nous ! Mon âme languit sans vie et sans désir dans ces ténèbres éternelles ! Que nous importe que la vie de notre postérité lointaine s’éclaire d’une lumière ininterrompue ? Nous avons, nous aussi, besoin de cette lumière ; elle manque à chacun de nous plus que l’air et la nourriture, plus que la mère et que l’amante. Qui sait ! Peut-être existe-t-il un chemin qui mène aux étoiles ! Peut-être ne sommes-nous pas incapables de les décrocher du ciel et de les apporter ici parmi nous, pour la joie de toute la terre ! Allons donc chercher ce chemin et la lumière de la vie ! »
Un silence se lit dans l’assemblée.
« Qui a dit cela ? » se demandait-on.
« C’est Adeïle, le jeune homme indocile et déraisonnable. »
Et le silence régna quelques instants encore. Enfin, le vieil Isour, le maître des sages, la lumière de la science, parla :
« Cher adolescent ! nous comprenons tous ton angoisse. Qui de nous ne l’a pas éprouvée à son tour ? Mais il est impossible à l’homme d’arracher une étoile du ciel. La Terre est bordée d’abîmes, de précipices profonds au-delà desquels s’érigent les rochers arides qui n’offrent aucun chemin vers les étoiles. Ainsi parle l’expérience et la sagesse. »
« Ce n’est pas à vous que je m’adresse, ô sages ! répondit Adeïle ; votre expérience couvre vos yeux d’un voile et votre sagesse vous aveugle. C’est à vous, jeunes gens au cœur audacieux, que je fais appel ; à vous qui n’êtes pas encore écrasés par la sagesse infirme des vieillards ! »
Et il attendit leur réponse :
Les uns dirent : « Nous serions heureux d’aller avec toi, mais nous sommes la lumière et la joie de nos parents et nous ne voulons pas leur causer de chagrin. »
Les autres dirent : « Salut à toi ! Adeïle ! Nous te suivions ! » et plusieurs jeunes hommes et jeunes filles se levèrent et partirent à la suite d’Adeïle.
On les vit s’éloigner vers l’horizon obscur et redoutable, puis les ténèbres les engloutirent.
Bien du temps se passa sans qu’on reçût aucune nouvelle de ceux qui étaient partis. Les mères pleuraient la mort de leurs enfants imprudents et la vie continuait de s’écouler comme auparavant. Comme auparavant les hommes naissaient, grandissaient, aimaient et mouraient dans les ténèbres humides avec le doux espoir que dans des milliers de siècles la clarté descendrait sur la terre.
Mais voila qu’une fois, à l’horizon noir, le ciel s’éclaira faiblement d’une lueur vacillante.
Les gens étonnés s’attroupaient dans les rues et sur la place en se demandant ce que cela pouvait être.
Cependant, à l’horizon, le ciel s’éclaircissait de plus en plus, des nuages bleus-pâle glissaient sur les brouillards, perçaient les nues et versaient sur les vallées célestes un large sillon de lumière, tandis que les sombres vapeurs tourbillonnaient, se heurtaient effrayées et s’enfuyaient au loin. Les rayons triomphants se faisaient toujours plus lumineux et la terre entière palpitait d’une joie extraordinaire.
— Une semblable clarté ne peut provenir que d’un astre du ciel, déclara pensivement le vieux sacrificateur Satzoï.
— Mais comment a-t-elle pu descendre sur la, terre ? — riposta Isour, le maître des sages, la lumière de la science, — nous n’avons pas de chemin qui nous mène chez les astres et les astres n’ont pas de chemin qui les conduise vers nous !
Le ciel cependant s’éclaircissait encore et tout à coup, bien loin, au-dessus de l’horizon un point lumineux, éblouissant se montra.
Alors un cri joyeux retentit par toute la ville : « L’astre vient ! L’astre vient ! » et les gens se précipitèrent à la rencontre du point brillant dans le lointain.
Des rayons clairs comme le jour chassaient devant eux les brouillards méphitiques et les brouillards déchirés s’agitaient et touchaient la terre. Alors les rayons les frappaient, les déchiraient en morceaux et les contraignaient à rentrer dans le sol. Tout l’horizon s’était éclairci et dégagé, et les gens virent combien d’espace libre il y a sur la terre et combien de leurs frères vivaient autour d’eux.
Et ils se hâtaient à la rencontre de l’astre qui s’approchait d’eux. Sur la route Adeïle marchait d’un pas lent en élevant en l’air par un de ses rayons l’astre qu’il avait arraché du ciel. Il était seul.
— Où sont les autres ? lui demanda-t-on.
— Ils sont tous morts, répondit Adeïle d’une voix mal assurée. Ils ont péri dans les effondrements et dans les précipices, en traçant le chemin du ciel.
La foule joyeuse entourait, le porteur d’étoile ; les jeunes filles le couvraient de fleurs et de tous côtés montaient des clameurs d’enthousiasme :
« Gloire à Adeïle ! Gloire à celui qui nous apporte la lumière ! »
Il entra dans la ville et s’arrêta sur la place élevant dans sa main l’astre brillant. Alors l’allégresse se répandit dans la ville entière.
* * *
Des jours s’écoulèrent. L’étoile lumineuse brillait toujours sur la place au bout du bras tendu d’Adeïle. Mais depuis longtemps déjà, la joie avait quitté la ville. Les hommes marchaient courroucés et mornes, baissant les yeux, évitant de se regarder. Lorsqu’ils devaient traverser la place, leurs veux s’enflammaient d’une sombre haine à la vue d’Adeïle. On n’entendait plus ni chansons ni prières. Les brouillards méphitiques dispersés par l’astre avaient fait place à une haine sinistre qui s épaississait, grandissait et s’étendait à tel point qu’on ne pouvait plus vivre sous son poids.
Et voilà qu’un homme accourut sur la place : ses yeux étaient brillants et son visage contracté par celle haine qui déchirait son âme.
« À bas l’astre ! À bas le porteur d’étoile maudit, — criait-il dans la folie de sa rage. — Frères ! est-ce que ce n’est pas le cri de toutes les âmes qui se fait entendre par ma bouche ! À bas l’étoile ! À bas la lumière ! Elle nous a privés de la vie et de la joie ! Nous vivions paisibles et tranquilles dans les ténèbres, nous aimions nos chères demeures, notre vie calme. Regardez ce qui est arrivé ! Elle est venue la lumière ! et maintenant nous ne trouvons plus de consolation en rien. Nos maisons nous apparaissent sales et laides ; les feuilles des arbres sont ternes et gluantes comme le ventre des grenouilles ! Regardez la terre ! Elle est toute couverte d’une boue sanglante ! D’où vient ce sang ? Qui le sait ? Voyez ! il se colle à nos mains, son odeur nous poursuit jusque pendant nos repas et notre sommeil ; il empoisonne jusqu’à nos humbles prières aux étoiles. Et nulle part on ne peut se sauver de cette lumière effrontée qui pénètre partout. Elle entre dans nos maisons toutes engluées de boue, de cette boue rouge qui couvre les murs et les fenêtres et s’entasse en masses puantes dans les coins. Nous ne pouvons plus embrasser nos bien-aimées ! sous la clarté de l’étoile d’Adeïle elles paraissent plus répugnantes que le ver sépulcral ; leurs yeux sont pâles comme ceux des cloportes, leurs corps mous sont tout couverts de taches et luisants de moisissure. Nous-mêmes, nous ne pouvons plus nous regarder, ce ne sont plus des hommes que nous avons devant nous, mais la parodie injurieuse des hommes !... Chacun de nos secrets, chacun de nos mouvements cachés est éclairé par cette lumière inflexible... Il n’est plus possible de vivre ! À bas le porteur d’étoile ! et que périsse la lumière ! »
« À bas ! cria toute la foule, et vive l’ombre ! La lumière des étoiles n’apporte aux hommes que le malheur et la malédiction... Mort au porteur d’étoile ! »
Et la foule s’agitait menaçante essayant de se griser de ses rugissements de rage et de vaincre l’effroi que lui causait ce blâme immense prononcé contre la lumière, et elle s’avançait vers Adeïle. Mais l’astre brillait dans sa main d’une clarté mortelle et nul n’osait s’approcher de lui.
Soudain la voix du sacrificateur Satzoï se fit entendre :
— Frères, arrêtez-vous ! Vous chargez votre âme d’un grave péché en maudissant la lumière. Qui prions-nous ? Qui nous fait vivre, sinon la lumière ? Mais toi aussi, mon fils, tu as péché comme eux en descendant l’étoile sur la terre — continua-t-il, en s’adressant à Adeïle. — Il est vrai que le grand Brahma a dit : « Heureux celui qui s’élance vers les étoiles ! » Mais les hommes, dans leur sagesse téméraire, ont mal compris la parole de celui qui est universellement aimé. Les élèves de ses élèves ont expliqué la parole de celui qui est toute sagesse : « L’homme doit s’élancer vers les étoiles, mais seulement par ses pensées ; et l’obscurité de la terre est aussi sacrée que la lumière du ciel. Et ton esprit emporté a méprisé cette pensée. Repens-toi donc, ô mon fils ! Jette l’étoile, et que la paix d’autrefois règne de nouveau sur la terre. »
— Crois-tu donc que, même si je la jette, la paix de la terre ne soit pas à jamais perdue ? demanda en souriant Adeïle.
Et les gens sentirent avec terreur, qu’Adeïle disait vrai et que la paix ne reviendrait plus jamais.
Alors, le vieil Isour, le maître des sages, la lumière de la science, s’avança :
— Tu as agi imprudemment, Adeïle, et tu ne peux pas prévoir toi-même les suites de ton inconséquence. Selon les lois de la nature, la vie se développe lentement et lentement aussi les étoiles éloignées se rapprochent de la vie. Au fur et à mesure que leur clarté s’approche, la vie se reconstitue. Mais tu n’as pas voulu attendre ; tu as arraché, à tes risques. l’étoile du ciel pour en éclairer la vie. Qu’est-il arrivé alors ? Son désarroi a sauté aux yeux de tous, elle s’est montrée sale, pitoyable et laide. Mais n’avions-nous pas deviné déjà, qu’elle était ainsi ? Était-ce là le problème à résoudre ? Ce n’est pas une grande sagesse que d’arracher une étoile du ciel pour en éclairer les difformités de la vie. Occupe-toi plutôt du travail sale et difficile de sa réorganisation. Tu verras alors s’il est aisé de la débarrasser de la boue qui s’est amoncelée depuis des siècles, et s’il est possible de faire disparaître cette boue, même avec des flots entiers de la lumière la plus claire ! Que d’inexpérience enfantine ! Quelle mauvaise compréhension des conditions et des lois de l’existence ! Ainsi, au lieu de la joie, tu as apporté la tristesse sur la terre, au lieu de la paix, tu y as apporté la guerre. Pourtant, même à présent, tu peux être encore utile dans la vie ; brise ton étoile, prends-en seulement un petit éclat et de cet éclat tu éclaireras la vie juste autant qu’il faut pour y accomplir un travail fécond et raisonnable.
— Tu as raison, Isour ! — répondit Adeïle — c’est la tristesse et non la joie, la guerre et non la paix, que cette étoile a apportées sur la terre. Certes, je ne prévoyais pas cela, lorsque j’escaladais les sommets des rochers qui mènent aux étoiles et que je voyais mes camarades tomber autour de moi dans l’abîme... Je pensais : Soit ! Qu’un seul de nous atteigne le but et apporte l’étoile sur la terre et alors, grâce à sa clarté lumineuse, la vie sera brillante et claire. Mais lorsque je me suis trouvé debout sur la place, j’ai compris que mes rêves étaient chimériques ; j’ai compris que vous aviez besoin que la lumière soit seulement dans le ciel et inaccessible, pour vous incliner devant elle dans les moments solennels de votre vie. Sur la terre, vous préférez cette obscurité dans laquelle on peut se cacher des autres. Le principal est d’être satisfait de soi-même, de sa vie rongée de moisissure. Mais j’ai senti aussi, mieux qu’avant, qu’il est impossible de vivre de cette vie qui clame incessamment sa misère au ciel par chaque goutte de sa boue sanglante, par chaque tache de sa moisissure grise... Du reste, je peux vous consoler ; mon étoile ne brillera pas longtemps. Là-haut, dans le ciel éloigné, les astres sont suspendus et luisent d’eux-mêmes ; mais celui qui est arraché du ciel et apporté sur la terre ne peut briller qu’en se nourrissant seulement du sang de son porteur. Je sens que ma vie monte de mon corps vers l’étoile, comme par une mèche et s’y consume ; bientôt elle sera consumée toute entière. Or, on ne peut transmettre l’étoile à personne, elle s’éteint avec la vie de son porteur et chacun doit la conquérir de nouveau. Et c’est à vous, gens honnêtes et audacieux de cœur, c’est à vous que je m’adresse ! À vous qui, connaissant la lumière, ne voudrez plus vivre dans l’obscurité ; allez sur la grande route et apportez ici de nouveaux astres ! Certes votre chemin sera difficile et long ; pourtant il sera déjà moins aride pour vous que pour nous qui y avons péri les premiers. Les sentiers sont tracés, les chemins marqués ; vous reviendrez avec des étoiles et leur lumière ne cessera plus de briller sur la terre. Alors sous cette lumière continuelle la vie d’aujourd’hui deviendra impossible ; les marais se dessécheront ; les brouillards sombres se dissiperont ; les arbres commenceront à verdir avec plus d’éclat et ceux qui, dans leur rage, se précipitent maintenant sur l’étoile, se mettront eux-mêmes à la réorganisation de la vie. Leur haine d’aujourd’hui ne vient que de ce qu’ils sentent, sous la lumière, l’impossibilité de vivre comme ils vivent. Alors leur vie sera grande et pure et elle apparaîtra plus belle sous la lumière rayonnante des astres alimentée de votre sang. Et lorsque le ciel étoilé descendra chez nous pour éclairer la vie, il la trouvera digne de lumière et votre sang ne sera déjà plus nécessaire pour alimenter cette lumière éternelle et continue...
La voix d’Adeïle s’éteignit ; les dernières gouttelettes de son sang quittèrent son visage pâle. Les genoux du porteur d’étoile fléchirent et il tomba en entraînant son étoile. Elle tomba, grésilla dans la boue sanglante et s’éteignit.
De tous côtés les ténèbres affluèrent et se refermèrent autour de l’astre éteint. Les brouillards ranimés s’élevèrent de la terre et tourbillonnèrent dans l’espace. Les étoiles impuissantes luisaient faiblement au travers dans le ciel lointain.
* * *
Les années s’écoulèrent. Comme auparavant les gens naquirent, grandirent, aimèrent et moururent dans les ténèbres humides ; comme auparavant la vie sembla calme et paisible. Mais une inquiétude profonde, un désir inassouvi la rongeait dans l’obscurité. Les gens essayaient en vain d’oublier ce que l’astre avait éclairé de sa clarté passagère. Les joies calmes d’auparavant étaient empoisonnées ; le mensonge se glissait partout. En priant avec vénération les étoiles lointaines, l’homme pensait : « Et s’il se trouvait soudain un être assez insensé pour apporter cette étoile ici, chez nous ! » Alors sa langue s’embarrassait, un frisson de crainte remplaçait l’essor pieux.
Le père enseignait à son fils que la vie et le bonheur de l’homme sont dans l’aspiration qui l’attire vers les étoiles... et tout à coup, une pensée traversait son esprit : « Si vraiment mon fils, illuminé par cette aspiration, parlait comme Adeïle à la recherche d’un astre et l’apportait sur la terre ! » Alors il se hâtait de lui expliquer que la lumière est bonne, mais qu’il est fou d’essayer de la descendre sur la terre. Et il lui racontait qu’il s’était trouvé des insensés qui l’avaient tenté, mais qu’ils avaient péri sans gloire et sans utilité pour la vie.
Les sacrificateurs enseignaient également cela, et les savants le démontraient. Mais ces sermons résonnaient inutilement. À chaque instant, la nouvelle se répandait qu’un jeune homme ou une jeune fille avait quitté le toit paternel. Pour aller où ? Peut-être sur le chemin montré par Adeïle ? Et les gens sentaient, avec effroi, que si la lumière recommençait à briller sur la terre, il faudrait se mettre, bon gré, mal gré, au grand travail et qu’on ne pourrait le fuir nulle part.
Avec une inquiétude confuse ils interrogeaient le lointain du regard et il leur semblait apercevoir au-dessus de l’horizon le reflet vacillant des étoiles qui s’approchaient.
V. VERESSAYEV (conte orienal)
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Par Cruella le 27 Février 2024 à 10:00
Un chacal, nommé Cri-Sauvage, habitait une tanière non loin de la ville. Un jour, en quête de nourriture, car il avait très faim, il se retrouva à la nuit tombante dans la ville. Des chiens féroces l'attaquèrent et le menacèrent de leurs crocs acérés. Il s'échappa, mort de peur devant leurs terribles aboiements, et arriva en clopinant dans la maison d'un teinturier. Ne sachant où se cacher, il sauta la tête la première dans une jarre pleine d'indigo. Lorsque les chiens, lassés, s'en allèrent, il se faufila hors de la maison et retourna dans la forêt. Les autres animaux, voyant qu'il était tout bleu, s'écrièrent :" Qu'est-ce que cette créature ? Nous n'avons jamais vu un animal de cette couleur. "
Et, effrayés, ils s'enfuirent à son approche, racontant partout qu'un étrange animal avait fait son apparition parmi eux. " Personne ne le connaît, murmuraient-ils, nul ne sait sa force. Il vaut mieux ne pas s'en approcher. Il serait bien imprudent de faire confiance à quelqu'un dont on ignore tout. "
Cri-Sauvage, voyant le parti qu'il pouvait tirer de leurs craintes, leur cria : "Stupides créatures ! Pourquoi fuir ? Ne savez-vous pas que le dieu Indra vient de me nommer votre maître ? Je suis Cri-Sauvage et je suis aussi votre roi. N'ayez pas peur, Je vous protégerai. "
Lorsqu'ils entendirent cela, les lions, les tigres, les léopards, les singes, les lièvres, les antilopes et les autres chacals s'inclinèrent devant lui et dirent :" Maître, dis-nous comment nous pouvons te servir. "
Le chacal expliqua alors au lion qu'il serait son premier ministre, au tigre qu'il serait son chambellan, au léopard qu'il se chargerait de sa boite de bétel, à l'éléphant qu'il garderait sa porte et au singe qu'il devrait porter le parasol royal. Mais il oublia complètement les chacals.
Tous les animaux lui obéissaient. Lorsque les lions et les tigres attrapaient une proie, ils la lui apportaient. Le faux roi, d'ailleurs, se montrait très juste et partageait la nourriture également entre tous.
Le temps passa. Et, un jour, alors qu'il tenait audience, il entendit une meute de chacals qui hurlaient au loin.
Ce bruit lui procura tant de plaisir qu'il se mit à gémir de joie, de sorte que les lions et les tigres qui l'entendirent se dirent entre eux : " Mais ce n'est qu'un chacal. Il nous a trompés. Tuons-le !"
Le chacal bleu essaya bien de s'enfuir, mais un tigre bondit sur lui et le mit en pièces.
Panchatantra.
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Par Cruella le 25 Décembre 2023 à 10:30
Le Petit Garçon à l’arbre de Noël du Christ
Dans une grande ville, à la veille de Noël, par un froid vif, je vois un jeune enfant, tout petit encore, de six ans, peut-être moins même, pas assez grand pour qu’on le fasse déjà mendier, mais assez pour que dans un an ou deux on l’y envoie assurément. Cet enfant se réveille un matin dans une cave humide et froide. Il est enveloppé d’une sorte de méchante petite robe de chambre et frissonne. Sa respiration sort en vapeur blanche : il est assis dans un coin, sur une malle ; pour se désennuyer, il active exprès l’haleine de sa bouche, et s’amuse à la voir s’échapper. Mais il a très-faim. Plusieurs fois déjà depuis le matin il s’est approché du lit de planches recouvert d’une paillasse mince comme un crêpe, où est couchée sa mère malade, la tète appuyée, en guise d’oreiller, sur un paquet de hardes.
Comment est-elle là ? Elle sera venue probablement, avec son enfant, d’une ville étrangère, et elle sera tombée malade. La propriétaire du taudis a été, il y a deux jours, arrêtée et menée au poste ; c’est fête ce jour-là, et les autres locataires sont sortis. Cependant, un de ces porte-nippes est resté couché depuis vingt-quatre heures, ivre-mort avant d’avoir attendu la fête. D’un autre coin sourdent les plaintes d’une vieille de quatre-vingts ans, percluse de rhumatismes. Cette vieille a été bonne d’enfant jadis, quelque part ; maintenant elle se meurt toute seule, elle geint, gémit, grogne après le petit, qui commence à craindre d’approcher du coin où elle râle. Il a bien trouvé à boire dans le corridor, mais il n’a pu mettre la main sur le moindre croûton de pain, et, pour la dixième fois, il vient réveiller sa mère. C’est qu’il finit par prendre peur en cette obscurité ; la soirée est déjà avancée, et on n’allume pas de feu. Il trouve à tâtons le visage de sa mère et s’étonne qu’elle ne bouge plus et qu’elle soit devenue aussi froide que la muraille. « Il fait donc si froid ! » pense-t-il. Il reste quelque temps sans bouger, la main sur l’épaule de la morte, puis il se met à souffler dans ses doigts pour les réchauffer, et, rencontrant sa petite calotte sur le lit, il cherche doucement la porte et sort du sous-sol. Il serait sorti plus tôt s’il n’avait eu peur du grand chien qui, là-haut, sur le palier, à la porte du voisin, aboie toute la journée. Mais le chien n’est plus là, et voici l’enfant dans la rue. — « Mon Dieu ! quelle ville ! Jamais encore il n’a vu rien de pareil. Là-bas, d’où il vient, la nuit, il fait bien plus noir, il n’y a qu’une lanterne pour toute la rue ; de petites maisons basses en bois, fermées avec des volets ; dans la rue, dès qu’il fait noir, personne ; tout le monde s’enferme chez soi ; seulement une foule de chiens qui hurlent, des centaines, des milliers de chiens qui hurlent et aboient toute la nuit. Mais en revanche, là-bas, il faisait si chaud ! et l’on donnait à manger. Ici, mon Dieu ! comme ce serait bon de manger ! quel tapage, ici, quel tonnerre ! quelle lumière et quel monde ! que de chevaux et de voitures ! Et le froid, le froid ! Le corps des chevaux las fume froid, et leurs naseaux brûlants soufflent blanc ; leurs fers sonnent sur le pavé à travers la neige molle. Et comme tout le monde se bouscule !… Mon Dieu ! que je voudrais manger ! un petit morceau de quelque chose… Voilà que ça me fait mal aux doigts… »* * *Un garde de paix vient de passer et a tourné la tête pour ne pas voir l’enfant.
« Voilà encore une rue,… oh ! qu’elle est large ! On va m’écraser ici, pour sûr ; Comme ils crient tous, comme ils courent, comme ils roulent… et de la lumière, et de la lumière ! Et ça, qu’est-ce que c’est ? Oh ! quel grand carreau ! Et derrière le carreau, une chambre, et dans la chambre un arbre qui monte jusqu’au plafond ; c’est l’arbre de Noël… et que de lumières sous l’arbre ! il y en a, des papiers d’or et des pommes ! et tout autour des poupées, des petits dadas. Il y a des petits enfants dans la chambre, bien habillés, tout propres ; ils rient, ils jouent, ils mangent, ils boivent des choses. Voilà une petite fille qui se met à danser avec le petit garçon : comme elle est jolie, la petite fille ! voilà de la musique, on entend à travers le verre… »
L’enfant regarde, admire, et il rit déjà ; il ne sent plus de mal aux doigts ni aux pieds, les doigts de sa main sont devenus tout à fait rouges, il ne peut plus les plier, et cela lui fait mal de les remuer… mais voilà tout à coup qu’il sent qu’il a mal aux doigts : il pleure et s’éloigne. Il aperçoit, à travers une autre vitre, une autre pièce et encore des arbres et des gâteaux de toutes sortes sur la table, des amandes rouges, jaunes. Quatre belles dames sont assises, et quand quelqu’un arrive, on lui donne du gâteau ; et la porte s’ouvre à chaque instant, il entre beaucoup de messieurs. Le petit s’est glissé, a ouvert tout à coup la porte et est entré. Oh ! quel bruit on a fait en le voyant, quelle agitation ! Aussitôt une dame s’est levée, lui a mis un kopeck dans la main, et lui a ouvert elle-même la porte de la rue. Comme il a eu peur !* * * Le kopeck lui est tombé des mains et a résonné sur la marche de l’escalier : il ne pouvait plus serrer ses petits doigts rouges assez pour tenir la pièce. Il sortit en courant, l’enfant, et marcha vite, vite. Où allait-il ? il ne savait pas. Il voudrait bien pleurer encore, mais il a trop peur. Et il court, il court, il souffle dans ses mains. Et le chagrin le prend : il se sent si seul, si effaré ! et soudain, mon Dieu ! qu’est-ce donc encore ? Une foule de gens qui se tiennent là et admirent : « A une fenêtre, derrière le carreau, trois poupées, jolies, habillées de riches petites robes rouges et jaunes, et tout à fait, tout à fait comme si elles étaient vivantes ! Et ce petit vieux assis qui semble jouer sur un violon. Il y en a aussi deux autres, debout, qui jouent sur de petits, petits violons et remuent la tête en mesure. Ils se regardent l’un l’autre, et leurs lèvres bougent : ils parlent vraiment ! Seulement on ne les entend pas à travers le verre. » Et l’enfant pense d’abord qu’ils sont vivants, et quand il comprend que ce sont des poupées, il se met à rire. Jamais il n’a vu de pareilles poupées, et il ne savait pas qu’il y en avait comme ça ! Et il voudrait pleurer, mais c’est si drôle, elles sont si drôles, ces poupées !
* * *Tout à coup, il se sent saisi par son vêtement ; il y a près de lui un grand méchant garçon qui lui assène un coup de poing sur la tête, lui arrache sa calotte, et lui donne un croc-en-jambe.
Il tombe, l’enfant. En même temps, on crie ; il reste un moment tout roide de frayeur, puis il se lève d’un bond et il court, court, enfile une porte cochère, quelque part, et se cache dans une cour, derrière un tas de bois : « Ici l’on ne me trouvera pas ; il fait sombre ici. »
Il s’accroupit et se recroqueville ; dans sa frayeur, il peut à peine respirer.
Et, subitement, il sent un bien-être : ses petites mains et ses petits pieds ne lui font plus du tout mal, et il a chaud, chaud comme près d’un poêle, et tout son corps tressaille. « Ah ! il va s’endormir ! comme il fait bon dormir ici ! Je resterai ici un peu, et puis j’irai encore voir les poupées », pensait le petit, et il sourit au souvenir des poupées. « Tout à fait comme si elles étaient vivantes !… »
Puis, voilà qu’il entend la chanson de sa mère. « Maman, je dors… ah ! comme on est bien ici pour dormir ! »
— Viens chez moi, petit garçon, voir l’arbre de Noël, fit une voix douce.
Il pensa d’abord que c’était sa mère ; mais non, ce n’était pas elle.
Qui donc l’appelle ? Il ne voit pas. Mais quelqu’un se penche sur lui et l’enveloppe dans l’obscurité ; et lui, il tend la main et… tout à coup… Oh ! quelle lumière ! Oh ! quel arbre de Noël ! Non, ce n’est pas un arbre de Noël, il n’en a jamais vu de semblable !
Où se trouve-t-il maintenant ? Tout reluit, tout rayonne, et des poupées tout autour ; mais non, pas des poupées, des petits garçons, des petites filles, seulement ils sont bien brillants. Tous ils tournent autour de lui, ils volent, ils l’embrassent, le prennent, l’emportent, et lui-même s’envole. Et il voit sa mère le regarder et lui rire gaiement.
— Maman ! maman ! ah ! comme il fait bon ici ! lui crie le petit. Et de nouveau il embrasse les enfants et il voudrait bien leur raconter l’histoire des poupées derrière le carreau. Qui êtes-vous, petites filles ? demande-t-il en riant et en les aimant.
C’est l’arbre de Noël à Jésus.
Chez Jésus, ce jour-là, il y a toujours un arbre de Noël pour les petits enfants qui n’ont pas leur arbre à eux…
Et il apprit que tous ces petits garçons et toutes ces petites filles étaient des enfants comme lui, les uns morts de froid dans les corbeilles où on les a abandonnés à la porte des fonctionnaires de Saint-Pétersbourg, les autres morts en nourrice dans les isbas sans air des Tchaukhnas, quelques-uns morts de faim au sein tari de leur mère, pendant la famine, d’autres empoisonnés par l’infection des wagons de troisième classe. Tous sont ici maintenant, tous des petits anges maintenant, tous chez Jésus, et Lui-même parmi eux, étendant sur eux les mains, les bénissant, eux et les pécheresses leurs mères…
Et aussi les mères de ces enfants sont là, à l’écart, et pleurent ; chacune reconnaît son fils ou sa fille, et les enfants volent vers elles, les embrassent, essuient leurs larmes avec leurs petites mains, et les supplient de ne pas pleurer, car ils se sentent si bien là…
Et en bas, le matin, le concierge a trouvé le petit cadavre de l’enfant réfugié dans la cour, refroidi derrière la pile de bois. On a trouvé aussi sa mère…
Elle était morte avant lui ; tous les deux se sont revus dans les cieux, dans la maison du Seigneur…Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski
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