• CRISE DE LA NOBLESSE

        8. PLOUTOCRATIE

    De par l’état grave dans lequel se trouvaient les noblesses de sang et d’esprit, il n’était pas étonnant qu’une troisième classe humaine s’approprie provisoirement le pouvoir : la ploutocratie.

    La forme constitutionnelle qui a pris le relais du féodalisme et de l’absolutisme a été démocratique ; sa forme de domination : ploutocratique. Aujourd’hui la démocratie  est une façade de la ploutocratie : comme les peuples ne toléreraient pas la ploutocratie nue, il leur est laissé le pouvoir  nominal, tandis que le pouvoir effectif repose dans les mains des ploutocrates. Dans les démocraties républicaines comme monarchiques, les hommes d’État sont des marionnettes, les capitalistes des tireurs de ficelles : ils dictent  les lignes directrices de la politique, ils dominent les électeurs par le biais de l’achat de l’opinion publique , les ministres par le biais des relations commerciales et sociétales.
        À la structure sociétale féodale s’est substituée la structure sociétale ploutocrate : ce n’est plus la naissance qui détermine la position sociale , mais le revenu. La ploutocratie d’aujourd’hui est plus puissante que l’aristocratie d’hier : car rien ne se situe au-dessus d’elle sinon l’État qui est son outil et son complice.
    Lorsqu’il y avait encore une vraie noblesse de sang, le système de l’aristocratie de naissance était plus juste que ne l’est aujourd’hui celui de l’aristocratie de l’argent : car à l’époque la classe dominante avait un sentiment de responsabilité, une culture, une tradition — tandis que la classe qui domine aujourd’hui est dénuée de tout sentiment de responsabilité, de toute culture et de toute tradition. Les quelques rares exceptions ne changent rien à ce fait.
        Tandis que la vision du monde du féodalisme était héroïco-religieuse, la société ploutocrate actuelle ne connaît pas de plus hautes valeurs que l’argent et la bonne vie : la valeur d’un humain est indexée
    sur ce qu’il a, et non sur ce qu’il est.

    Néanmoins, les leaders de la ploutocratie  forment en un certain sens une aristocratie,  une sélection : car pour l’accumulation d’une plus grande fortune, toute une série de singularités éminentes est nécessaire : la force d’agir, la prudence, l’intelligence, la pondération, la présence d’esprit, l’initiative, la témérité et la générosité. Grâce à ces avantages, les grands entrepreneurs ayant réussi se légitiment en tant que natures conquérantes modernes, à qui leurs forces de volonté et d’esprit supérieures apportent la victoire sur la masse des concurrents de valeur moindre .
        Cette supériorité des ploutocrates n’est cependant valable qu’à l’intérieur d’une classe humaine acquise — elle disparaît aussitôt, lorsque ces éminents gagneurs d’argent sont comparés aux éminents représentants  des professions idéales. Ainsi, s’il est juste qu’un industriel ou un commerçant efficient s’élève matériellement et socialement plus haut qu’un collègue inefficient — il est cependant injuste que sa puissance et sa valeur sociétales soient plus hautes que celles d’un artiste, d’un érudit, d’un politicien, d’un écrivain, d’un professeur, d’un juge, d’un médecin, qui dans sa profession est tout autant capable que lui, et dont les capacités servent cependant des buts plus idéaux  et plus sociaux : injuste donc que le présent système sociétal donne à la mentalité égoïsto-matérialiste la primauté sur une mentalité altruisto-idéale.
        Dans cette préférence de l’efficience égoïste sur l’efficience altruiste,  de l’efficience matérialiste sur l’efficience idéaliste, réside le mal fondamental de la structure sociétale capitaliste ; alors que les vrais aristocrates de l’esprit et du coeur : les sages et les bons, vivent dans la pauvreté et l’impuissance, les égoïstes humains de pouvoir usurpent la position de leader à laquelle ceux-là étaient appelés.
    Ainsi la ploutocratie est, d’un point de vue énergétique et intellectuel, une aristocratie — et d’un point de vue éthique et spirituel, une pseudoaristocratie ; à l’intérieur de la classe humaine acquise, elle est une aristocratie — comparée aux professions idéales, une pseudo-aristocratie.
        À l’instar des aristocraties de sang et d’esprit, celle de l’argent se trouve aussi actuellement en période de déclin.
     Les fils et les petits-enfants de ces grands entrepreneurs, dont la volonté, forgée à travers la misère et le travail, les avait hissés du rien jusqu’à la puissance, demeurent quant à eux généralement assoupis dans la bonne vie et l’inaction. Rarement seulement l’efficience paternelle se transmet, ou se sublime en créations plus spirituelles et plus idéalistes. Les lignées de ploutocrates manquent de cette tradition et de cette vision du monde, de cet esprit rustique et conservateur qui avait autrefois pendant des siècles protégé les lignées de la noblesse contre la dégénérescence. De faibles épigones reprennent l’héritage de pouvoir de leur père, sans le don pour la volonté et l’entendement, grâce auquel il avait été accumulé. Le pouvoir et l’efficience entrent alors en contradiction : et minent ainsi la légitimité
    intérieure du capitalisme.

    Le développement historique a précipité ce déclin naturel. Propulsée par la conjoncture de guerre, une nouvelle ploutocratie de petits trafiquants  a commencé à dissoudre et repousser l’ancienne ploutocratie des entrepreneurs. Tandis qu’avec l’enrichissement des entrepreneurs la prospérité du peuple croît, avec l’enrichissement des petits trafiquants elle sombre. Les entrepreneurs sont les leaders de l’économie —les petits trafiquants en sont les parasites : l’entrepreneuriat est un capitalisme productif — le trafic  un capitalisme improductif     La conjoncture actuelle rend l’acquisition d’argent plus facile aux humains sans scrupules, sans inhibitions, et sans fiabilité. Pour les profits
    liés au trafic ou à la spéculation, la chance et l’absence d’égards sont plus nécessaires que des dons de volonté et d’entendement. La ploutocratie moderne des petits trafiquants représente ainsi davantage une kakistocratie de caractère  qu’une aristocratie de l’efficience. Avec le brouillage croissant     des frontières entre l’entrepreneuriat et le trafic, le capitalisme est compromis et déprécié sur le forum de l’esprit et dans l’espace public.
        Aucune aristocratie ne peut s’affirmer durablement sans autorité  morale. Dès que la classe dominante cesse d’être un symbole des valeurs éthiques et esthétiques, sa chute devient inévitable.
        La ploutocratie est, comparée à d’autres aristocraties, pauvre en valeurs esthétiques. Elle remplit les fonctions politiques d’une aristocratie, sans offrir les valeurs culturelles d’une noblesse. Mais la richesse n’est supportable que dans les habits de la beauté , elle n’est justifiée qu’en tant qu’émissaire d’une culture esthétique. En attendant, la nouvelle ploutocratie s’enveloppe d’une morne absence de goût et d’une importune laideur : sa richesse en devient stérile et repoussante.
        La ploutocratie européenne néglige — au contraire de l’américaine —sa mission éthique aussi bien que sa mission esthétique : les bienfaiteurs sociaux de grand style sont aussi rares que les mécènes. Au lieu d’apercevoir le but de leur Dasein dans le capitalisme social,  dans le rassemblement et la mise en forme de la fortune éparpillée du peuple en oeuvres généreuses de l’humanité  créatrice — les ploutocrates se sentent, dans leur écrasante majorité, légitimés à bâtir, de façon irresponsable, leur bonne vie sur la misère des masses. Au lieu d’être des administrateurs bienveillants  de l’humanité, ils en sont les exploiteurs, au lieu d’être des leaders , ce sont des induiseurs en erreur.
        À travers ce manque de culture esthétique et éthique, la ploutocratie ne s’attire pas seulement la haine, mais aussi le mépris de l’opinion publique et de ses leaders spirituels : parce qu’elle n’a pas su s’y prendre pour devenir noblesse, elle doit tomber.
        La révolution russe signifie, pour l’histoire de la ploutocratie, le début de la fin. Même si Lénine est vaincu, son ombre dominera autant le XXe siècle que la Révolution française a déterminé le développement du XIXe, en dépit de son effondrement : jamais en Europe continentale le féodalisme et l’absolutisme n’auraient volontairement abdiqué — sinon de peur devant une répétition de la terreur jacobine, devant la fin de la noblesse et du roi français. L’épée de Damoclès de la terreur bolchevique
    réussira plus vite à attendrir le cœur des ploutocrates et à rendre les exigences sociales accessibles, qu’en deux millénaires l’évangile du Christ.

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