• DES HUMAINS RUSTIQUES ET URBAINS (suite)

    2. JUNKER — LETTRÉ

     

    L’apogée  de l’humain rustique est le noble propriétaire terrien , le junker. L’apogée de l’humain urbain est l’intellectuel, le lettré.

    La campagne et la ville ont toutes deux engendré leur type de noblesse spécifique : la noblesse de volonté s’oppose à la noblesse d’esprit, la noblesse de sang à la noblesse cérébrale. Le junker typique allie un maximum de caractère avec un minimum d’intellect — le lettré typique un maximum d’intellect avec un minimum de caractère.

    Au noble terrien ne manque pas en tout temps et en tout lieu l’esprit, ni au noble citadin le caractère ; à l’instar de l’Angleterre des temps modernes, dans l’Allemagne des troubadours la noblesse de sang était un élément culturel éminent ; de l’autre côté, la noblesse d’esprit catholique des jésuites et la noblesse d’esprit chinoise des mandarins ont fait preuve, à leur apogée, d’autant de caractère que d’esprit.

    Dans le junker et le lettré culminent les oppositions des humains rustiques et urbains. La profession typique de la caste des junkers est la profession d’officier ; la profession typique de la caste des lettrés est la profession de journaliste.

    Le junker-offîcier en est resté, psychiquement comme spirituellement, au stade du chevalier. Dur avec lui-même et les autres, fidèle à son devoir, énergique, persévérant, conservateur et borné, il vit dans un monde de préjugés dynastiques, militaires, nationalistes et sociaux. À sa profonde méfiance vis-à-vis de tout ce qui est moderne, vis-à-vis de la grande ville, de la démocratie, du socialisme et de l’internationalisme, il allie une tout aussi profonde croyance  en son sang, en son honneur et en la vision du monde de ses pères. Il méprise les citadins, et avant tout les lettrés et les journalistes juifs.

    Le lettré précède son temps ; libre de préjugés, il défend des idées modernes en politique, en art et en économie. Il est progressiste, sceptique,

    plein d’esprit, polyvalent, changeant ; c’est un eudémoniste, un rationaliste, un socialiste, un matérialiste. Il surestime l’esprit, et sous-estime le corps et le caractère : c’est pourquoi il méprise le junker, en tant que barbare rétrograde.

    L’essence du junker est la rigidité de volonté — l’essence du lettré est la mobilité d’esprit.

    Le junker et le lettré sont des rivaux et des adversaires nés : là où règne la caste des junkers, l’esprit doit céder la place devant la violence ; en de tels temps réactionnaires, l’influence politique des intellectuels est écartée, ou du moins limitée. Que règne la caste des lettrés, et la violence doit alors céder la place devant l’esprit : la démocratie vainc le féodalisme, le socialisme vainc le militarisme.
    La haine réciproque, entre l’aristocratie de volonté et l’aristocratie d’esprit allemandes, s’enracine dans l’incompréhension. Chacun ne voit que les aspects obscurs de l’autre et est incapable d’en voir les avantages. La psyché du junker, de l’humain rustique, demeure même aux plus grands écrivains éternellement fermée ; tandis qu’à presque tous 113] les junkers, l’âme des intellectuels, des humains urbains, demeure étrangère. Au lieu d’apprendre de l’autre, le plus jeune des lieutenants détourne avec dédain ses yeux des plus éclairants esprits de la littérature moderne, tandis que le dernier des journalistes bas de gamme n’éprouve qu’un mépris condescendant vis-à-vis d’un éminent officier. À
    travers cette double incompréhension de la mentalité d’autrui, l’Allemagne militariste a d’abord sous-estimé la force de résistance des masses urbaines contre la guerre, puis l’Allemagne révolutionnaire a sous-estimé la force de résistance des masses rustiques contre la révolution. Les leaders des campagne ont méconnu la psyché de la ville et son penchant pour le pacifisme — les leaders de la ville ont méconnu la psyché du peuple de la campagne et son penchant pour le réactionnisme : l’Allemagne a donc d’abord perdu la guerre, puis la révolution. L’opposition entre le junker et le lettré est fondée sur le fait que ces deux types soient les extrêmes, et non les points culminants, de la noblesse de sang et de la noblesse d’esprit. En effet la plus haute forme d’apparition de la noblesse de sang est le grand-seigneur et celle de la  noblesse d’esprit le génie.  Ces deux aristocrates ne sont pas seulement compatibles : ils sont apparentés. César, l’accomplissement du grand-seigneur, était le plus génial des Romains ; Goethe,  le sommet de la génialité, était le plus grand-seigneur de tous les poètes allemands. Ici comme partout, les stades intermédiaires s’éloignent le plus fortement, tandis que les sommets se touchent.L’aristocrate accompli est en même temps aristocrate de la volonté et de l’esprit, mais il n’est ni junker, ni lettré. Il allie une vaste vision avec la force de volonté , la force de juger avec la force d’agir,  l’esprit avec le caractère. Si de telles personnalités synthétiques venaient à manquer, les divergents aristocrates de la volonté et de l’esprit devraient alors se compléter les uns les autres, au lieu de se combattre. Autrefois, en Égypte, en Inde, en Chaldée, les prêtres et les rois (les intellectuels et les guerriers) régnaient ensemble. Les prêtres se courbaient devant la force de la volonté, les rois
    devant la force de l’esprit : les cerveaux montraient les cibles, les bras frayaient les chemins.

     

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