• Dimanche 11 décembre 1955

     

     

    Il y a, avant cette page-ci, une douzaine de pages arrachées, le fruit d’une pénible semaine, il y a, avant cette première page, des pages dont je ne me sens plus l’auteur.
    Car je veux que tout commence avec ce dimanche 11 décembre,  dehors tout est gris,
    terne, immobile, les branches noires, traits de fusain crayonnant le ciel pâle, le pavé
    gris, de rares passants dont j’entends les pas qui claquent en bas sous une fenêtre, les
    passants et les autos du dimanche, tout cela immobile et gris. Je sais bien que rien ne
    commence jamais, que tout se continue toujours, mais je sors de quelques semaines
    atroces, de fatigue, de nervosité, et je ne veux plus que cela continue. Je veux être la
    Force, la Résolution et la Foi.
    J’aurais en ce moment un tas de choses à dire, sur ce qu’il faut faire dans la vie et
    comment il faut le faire. Sur l’importance des actes, des moindres actes, et sur l’effort
    constant à fournir pour faire des actes qui nous dépassent. Nous élèvent. Sur la nécessité
    d’être fort et de ne pas craindre de s’isoler. Ni avec soi-même, ce qui est la Solitude, ni
    avec un autre, ce qui est l’Amour. Les grandes Amours sont des amours de solitaires.
    J’aimerais dire qu’il faut être dur avec les gens qui ne sont que des gens, dur et
    fermé. Inflexible.
    Je me dis : Attention, attention. Tu n’as que vingt ans. Ne deviens pas comme la
    plupart des autres. Tu veux devenir solitaire et personnel et tendre quand même. Tu as
    raison. Mets tout en œuvre pour le devenir. Tu as déjà fait des progrès dans ce sens,
    depuis deux ans. Mais tu es loin du but. Continue.
    Je me dis : Ne sois pas si nerveux. Tu ne feras jamais rien de bon en obéissant
    à toutes ces fausses inspirations qui ne sont en réalité que des excitations. Il faut être
    lourd, croître avec application et fermeté, et se méfier des écarts qui font perdre tant de
    temps. Il faut être une sorte d’éléphant dans la forêt vierge.
    Je me dis : Ne montre pas aux gens ce que tu as de grand. Ce qu’il y a de grand
    dans une âme leur paraît toujours monstrueux et les effraie. Ou alors, par envie, ils
    cherchent à le détruire. Ne le leur montre pas et traite-les comme ils le méritent, pour
    la plupart : en étant distant, lointain et ferme. J’aurais un tas, un tas de choses à dire, à
    ordonner, à approfondir, ce dimanche 11 décembre gris. Non pas des découvertes, non,
    mais la somme de ce que je sais. Pour agir en conséquence. Mais je ne puis m’attarder
    maintenant. Le principal, c’est que je veux devenir solitaire, inflexible et tendre. Me
    dominer toujours. Éternel.

    Jean-René Huguenin

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