• Divine Bontemps (suite)

    Elle était venue au monde en quelque sorte avec la honte de son cœur. La pudeur physique, et tout ce qu’elle comporte d’ombrageuse sensitivité, semblait chez elle transposée au moral ; et la moindre émotion dévoilée, le moindre sentiment surpris lui causait l’intolérable malaise de la nudité.

     

    Aussi tout ce qui est fait de demi-jour, de silence, de mystère, l’attirait-il particulièrement : les profondeurs du jardin, l’église ténébreuse et douce, la fraîcheur des pièces inoccupées. Là, elle se sentait vraiment vivre ; là, elle pouvait s’épanouir dans la plénitude de son être. Et c’est bien de leur lumière discrète, de leur gravité mélancolique, de leurs colorations atténuées, de leurs parfums discrets  que devait s’imprégner pour la vie la substance délicate de son âme.

     

    Ce qu’elle perdait à cette susceptibilité de cœur immodérée, elle s’en rendait bien compte ; et, parfois, la constatation des joies faciles dont elle s’était ainsi volontairement privée la poignait jusqu’aux larmes. Alors elle essayait de réagir, elle se promettait de prendre exemple de ses petites compagnes. Pendant une heure, dans l’entraînement du jeu, elle tentait de se donner le change. Animation factice, qui tombait bientôt après, si bien que souvent, le soir même, brûlant d’obtenir quelque faveur de sa mère, au moment de se jeter dans ses bras, elle s’arrêtait, hésitante, et finissait par aller se coucher sans rien dire.

    Une telle répugnance à livrer le secret de ses sentiments lui faisait peu à peu contracter l’habitude du renoncement ; et de cette habitude devait naître, par la suite, un goût passionné et presque barbare du sacrifice, un  étrange appétit de résignation, qui l’attirait mystiquement aux tristesses et n’était point sans comporter au reste de cruelles et raffinées voluptés.  

    suite...