• I - CONTRE L’INDIFFÉRENCE (4) 2/3

    La psychanalyse, une consolation

    La psychanalyse est d’autre part un produit de la culture bourgeoise, et plus précisément de la civilisation américaine, dont elle « sert admirablement l’armement idéologique ». Voilà le point crucial, la clé du conflit : les marxistes n’ignorent pas que la faiblesse de l’Occident moderne est de n’avoir pas su rajeunir ou renouveler l’idéal collectif. La démocratie classique multiplie les concessions, se suicide peu à peu, tend les bras à la dictature pour faire face aux exigences de notre temps ; l’individualisme libéral a cessé d’être une mystique, à mesure qu’il se confondait avec le matérialisme bourgeois : chacun pour ses poches. Quant à l’Église, encore solide, ils comptent la miner patiemment en s’y infiltrant avec douceur, et il faut reconnaître que leurs têtes de pont ont déjà fait, dans certains milieux avancés, du joli travail. Mais la psychanalyse les inquiète. C’est une fâcheuse attaque de diversion. Elle risque de détourner le travailleur de ce qui devrait être son objectif unique : la victoire du prolétariat ; de le persuader que la cause de ses maux n’est pas dans la structure vicieuse de la société, mais dans celle de sa conscience, et qu’enfin il peut fort bien guérir de sa misère sans rien changer à l’ordre établi. « Elle (la psychanalyse) revient maintenant – après la guerre – (des États-Unis) par le canal qui soutient le mode de vie américain, écrit La Nouvelle Critique. Les forces de progrès et de paix se sont trouvées tenues de s’inquiéter d’une telle situation, de rechercher dans quelle mesure se développait, sous le couvert d’une activité prétendue scientifique, une idéologie impliquant des fins plus ou moins avouées de conservation et de régression sociale. » Les marxistes sont d’autant plus inquiets que la psychanalyse, si elle ne concourt pas encore « au soutien du manœuvre léger », a commencé à se répandre dans les milieux populaires, parmi ces êtres qui ont toujours été les plus vulnérables aux illusions, les plus prompts à se jeter sur n’importe quel mirage de consolation, et aussi les plus dangereux véhicules de toute propagande : les femmes. Les hebdomadaires à grand tirage, la presse du cœur, les courriers du cœur, jettent le poison d’une foi rivale dans l’âme de leurs propres fidèles. « Cette place essentielle, accordée à la psychanalyse dans la propagande réactionnaire destinée aux femmes ne doit pas nous surprendre. » Elle ne les surprend pas, mais elle les gêne.
     En dernier lieu, la psychanalyse est accusée d’être une technique de perversion : « L’érotisme y prend figure de phénomène scientifique et les mœurs anormales et dépravées y sont décrites en toute objectivité », lit-on en 1951 dans La Nouvelle Critique. Et L’Humanité dénonce « l’invasion qui commence du sordide, du malsain ». Il est curieux de voir s’éveiller ainsi une « morale de gauche », de nouveau en parfait accord avec la morale catholique. *
     1955 : le vent tourne ; c’est la détente, la reprise des négociations Est-Ouest. Brusquement – étrange coïncidence – la psychanalyse rentre en grâce. « Freud a 100 ans, écrit La Raison en 1957. Rendons hommage au chercheur génial et scrupuleux, à l’observateur perspicace et prudent, au clinicien avisé, à l’homme généreux et honnête. Mais, pour nous, ce centenaire n’est pas uniquement le prétexte à de stériles effusions. C’est l’occasion d’un bilan. Non pas celle d’une “déchirante révision” de nos positions, mais d’un effort de réflexion approfondie sur ce phénomène complexe et contradictoire qu’est la psychanalyse. Elle a conquis tous les domaines. Elle est dans le ciel équivoque des idées, mais aussi sur le terrain inébranlable de la clinique. Elle a acquis droit de cité dans la science ; elle est la seule psychothérapie qui s’inspire d’une doctrine et possède une technique. » Il y a beaucoup de courage dans ce retour sur soi-même. Voilà la « philosophie de boudoir » qui reçoit, par la bouche de ses détracteurs, « droit de cité dans la science ». Quelle école d’humilité que le marxisme ! Avec quel embarras, quelle touchante gaucherie ses défenseurs essaient-ils de justifier leur revirement, et de fonder, grâce à des artifices de logique désespérés, la cohérence de leur doctrine sur les contradictions de leurs jugements ! « Il apparaît donc qu’il y a des conditions politiques de notre critique », avoue dans La Raison, sur le ton ingénu de la découverte, un écrivain marxiste. « On pourra alors nous accuser d’être des opportunistes, s’empresse-t-il d’ajouter, et de juger en fonction d’impératifs politiques immédiats. » En effet. « Mais c’est là une erreur d’optique à la fois grave et ridicule, car elle consiste à nous attribuer un mode de pensée qui est précisément celui de nos adversaires. » Il faut vraiment être à court d’arguments pour se contenter d’une défense aussi puérile.
     Le problème, pour les marxistes, est donc aujourd’hui de reconnaître les vertus thérapeutiques de la psychanalyse tout en refusant ses postulats philosophiques. C’est devant la même nécessité ingrate que se trouvent placés les catholiques. Mais, parce qu’ils sont relativement plus libres de leurs opinions, ils sont aussi plus divisés. *

    "Une autre jeunesse" Jean-René Huguenin

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