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L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (3) 2/2
Mon côté désuet, la langueur de mes yeux cernés, ma gestuelle et la séduisante chétivité de mon allure détonnent, à ce qu’on m’a dit, avec la violence de mes propos et l’énorme sexualité que l’on sent se terrer en moi. On m’a longtemps pris pour un être asexué, complètement détaché de ces choses-là. Ma femme m’a dit que toute ma vie sera dominée par ma sexualité, qu’elle sera ma plus grande souffrance, parce qu’elle est le seul lien qui me rattache à la réalité : sans elle, je serais le plus grand moine. C’est atrocement définitif. La Salope a bien visé.
Manquer de vagin me tape sur le système. Ça me gêne. C’est comme une épine : j’ai en permanence un clitoris planté dans la littérature. C’est quelque chose qu’Hélène a ressenti immédiatement en moi. Dès les toutes premières minutes, elle ne s’est pas laissé tromper par ma frêleur, mon dégingandisme, mon côté jeune homme de bonne famille qui revient de postcure à Baden-Baden ! Elle a tout de suite été oppressée par ce sexe rentré et débordant à la fois qui sortait de partout, malgré moi, dans mes gestes, dans ma voix légèrement voilée, ma façon de parler, mes regards humectés de foutre. Ç’a été terrible.
Le plus grand moine, mes couilles ne m’empêchent pas de l’être : c’est bien mon malheur. Ce qu’elle veut dire, c’est que seuls mes amandons me font sortir de ma torpeur, et ça, c’est bien exact. J’ai entre les jambes un etna et un vésuve qui ne peuvent rester indéfiniment éteints. Et je sors de cette attente au moment où je lâche ma purée : c’est là que je ne suis plus sexuel. Cette angoisse est fantastique : je cesse d’être sexuel au moment même où je fornique. Moins je baise, plus je suis sexuel ; plus ma vie est entièrement sexuelle. Les couilles me montent à la tête. Je ne suis plus qu’une nausée de désir. Je m’en vais déboucher hagardement dans mon élan, sur la réalité. Je sens le monde entier comme engendré par mon manque permanent ! Tous les jours, j’assiste aux énormes soulèvements de ventres internes qui bouleversent ces misérables cinquante kilos que ma prétendue existence entraîne dans les décors. J’aurais tant aimé n’être que sensuel : je n’ai pas cette chance. C’est vraiment le sexe : ça monte vraiment des entrailles basses, je sais même tellement d’où ça vient que j’en viens à penser que ce n’est pas ça le sexe, la traditionnelle pulsion comme je l’imagine chez les autres : cette évidence me trouble. Ou alors tout ce qui pousse l’homme à se réaliser fanatiquement vient uniquement du désir de se vider les couilles, ou alors le nœud sexuel est plus terrible que ça. Le sexe est peut-être encore bien plus en dessous du désir, le vrai sexe ne s’appelle peut-être pas le sexe, il est encore bien plus monstrueusement enfoui dans notre nature. C’est peut-être bien quelque chose comme l’âme. Le sexe ne serait-il pas le symbole d’un instinct bien plus obscur, d’une force vitale qui nous tient debout avec beaucoup plus de méchanceté encore, avec beaucoup plus d’autorité, et dont nous serions surpris d’apprendre la véritable signification ? Ne nous a-t-on pas mis, par je ne sais quelle ironie, ce misérable besoin de lâcher notre sang le plus parfait, pour ne pas nous accabler davantage d’une misère encore plus tragique, d’une pulsion extrêmement plus dangereuse que la mort elle-même n’aurait su maîtriser ?
Tous les soirs, inutile de le dire, je « prie » comme une bête, par farouches giclées d’une décame fluide et dramatique et j’en aime observer sous une lumière forte la globulation de gouttes et de glaires, comme pour essayer de surprendre quelques milliards d’individus en puissance, en substance, en navrance. La masturbation – souterraine ou non – a toujours été pour moi une espèce de prière. N’ayant jamais de ma vie prié un quelconque Dieu, toute la mysticité un peu méprisable qui envahit l’être humain après qu’il se soit brossé les dents, au moment où il se sent partir dans une sorte de sommeil, s’est traduite chez moi – comme chez beaucoup de garçons et certainement chez la plupart des filles – par l’accomplissement inéluctable de cette petite offrande au désir, ce bien-être un peu beaucoup douloureux. Quoi qu’on en dise, la Branlette chez les hommes est une dégueulasse question d’hygiène pure : c’est parce qu’il manque de moule que le type s’astique. C’est la grande différence avec la femme qui peut se branler sans jamais qu’aucune bite lui passe par la tête. Je me masturbe pour en finir, pour me vider d’un désir cuisant, sale petit besoin sournois qui vient gâcher l’esprit. Je m’offre cet effort comme une récompense, et c’est en agitant avec ferveur ma grosse queue gonflée de foudre que je me sens entrer en communion totale avec une partie de mon imagination qui est différente des autres : un endroit sacré, presque religieux, vide comme une cathédrale désaffectée, connu de moi seul et où seul un cul sommeille. C’est ici que je peux parler d’une sorte de prière informulée, inutile, sans destinataire et en dehors de tout. C’est dans les moments où je me branle le plus fort, où j’entre en fascination électrique, en audaces imaginées, en musique de veines au vent des poupes maudites, où des trillions d’images pornographico-dramatiques virevoltigent dans cette écume énorme, au moment même où je sens mes couilles valser comme des poires vertes qu’on agite sur l’arbre, que je me transforme en une espèce de saint au supplice, de la lumière plein les paupières et la mort dans l’âme. Ma bouche bée comme une huître, ma langue de chien laisse pendre un halètement saliveux, je renverse la tête sur ma nuque basse, la raie trempée, l’anus qui fond en larmes, tous les poils baignés d’une douce sueur, le pied se cambre furieusement vers la plante avec la même violence qu’y mettrait à le briser un très méchant marteau, et ça y est : dans un raclement de fauve pris au piège, je vois de grandes ourses partout, je me sens fondre, je suis affreux, j’ai envie de pleurer, je regarde ma main : un paquet gras et visqueux de gélatine yogourtesque pend à mes doigts en filandreux crachat de vie, de vie à l’état pur.
Tags : c’est, d’un, bien, sexe, moi
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