• L'imbécile est votre oeuvre

     

    Le crétin, le fou, l'idiot appartiennent au bon Dieu, nous pouvons croire qu'il les a voulus tels, que ces disgrâces lui rendent gloire à leur manière. Mais l’imbécile est votre oeuvre, une création de la société, ou du moins une déformation de l'homme si réussie qu'elle a l’apparence d'une création. Pour comprendre la situation de l'imbécile dans la société qui l'exploite et le protège à la fois, lui assure plus que la sécurité elle-même, cette fidélité inflexible aux apparences, qui fait des Bouvard et des Pécuchet une espèce monstrueuse de stoïques ou de saints, il faut penser à celle du bigot parmi les chrétiens. Je dis bigot. (...)   Il y a une part d'humain dans l’Église, il s'y trouve dont une part de scandale, et ce scandale doit être surmonté.Dieux nous le demande. Le bigot, comme l'imbécile, préfère l’abêtissement au scandale.  Avant de les traiter de lâches, il faudrait savoir si l'épreuve était à la mesure de leurs forces. Ni l'injustice ouverte, ne le crime cynique, ne semblent assez justifier l’existence et la multiplication des imbéciles.  Cette sorte de scandale provoque l'indignation ou le dégoût, fait des révoltés ou des victimes, conscients de leur misère. C'est l'imposture qui empoisonne. Nous avons tous connu, un jour ou l'autre, cette morsure profonde, cette douleur sourde, intime, ce frémissement douloureux de la racine humaine, ce spasme aigu de l'âme. Il est possible, il est probable que Notre-Seigneur l'a connu aussi. Les malédictions portées contre les pharisiens ont un accent unique de colère et d'angoisse, expriment comme une sorte de stupeur intolérable. On comprend très bien l'attitude des imbéciles en face de certaines formes réellement torturantes de l'hypocrisie. Ces malheureux préfèrent tout accepter en bloc, ce qui est une manière de tout refuser. Comme le héros de Léon Bloy, ce sont des gens qui ne veulent plus rien savoir. Ils se sont réfugiés dans la lettre, soit. Mais écoutez-moi bien, retenez bien ce que je vais dire, c'est que vous les aviez chassés de l'Esprit.

    "Les Enfants humiliés" Bernanos

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