• LA QUÊTE DU BONHEUR - Hannah Arendt

     

    Nécessité et violence, violence que l’on justifie et magnifie parce qu’elle œuvre pour la cause de la nécessité, nécessité contre laquelle on ne se révolte plus dans un suprême effort de libération, ou que l’on n’accepte plus avec une pieuse résignation, mais que l’on révère au contraire comme la grande force omnipotente qui sûrement, pour reprendre les termes de Rousseau, «contraindra les hommes à être libres» - nous savons comment ces deux critères et leur interaction mutuelle sont devenus la marque des révolutions réussies au xxe siècle, à telle enseigne que, pour les savants comme pour les ignorants, ils constituent désormais les traits dominants de tous les événe­ments révolutionnaires. Et nous savons aussi, malheureusement, que l’on a mieux préservé la liberté dans les pays où aucune révolution n’a jamais éclaté, si choquante que puisse être la situation créée par les pouvoirs en place, et que les pays où la révolution a été vaincue connaissent plus de libertés civiles que ceux où elle l’a emporté. *

    Nous n’avons pas besoin d’y insister ici, même si nous aurons à y revenir plus tard. Avant d’aller plus avant, il nous faut toutefois attirer l’attention sur ceux que j’ai appelés les hommes des révolutions pour les distinguer des révolutionnaristes professionnels ultérieurs, afin d’avoir une première idée des principes qui ont pu les inspirer et les préparer au rôle qu’ils allaient jouer. Car aucune révolution, même en ouvrant largement les portes aux masses des pauvres, n’a jamais été déclenchée par ceux-ci, de même qu’aucune révolution, si répandus qu’aient pu être le mécontentement voire les complots dans un pays donné, n’a jamais résulté d’une sédition. D’une façon générale, on peut dire qu’aucune révolution n’est possible là où l’autorité du corps politique est réellement intacte, en d’autres termes, dans un contexte moderne, là où on peut faire confiance aux forces armées pour obéir aux autorités civiles. Dans leur phase initiale, les révolutions semblent toujours réussir avec une étonnante facilité, et la raison en est que les hommes qui les font ramassent seulement le pouvoir

    À partir de là, cependant, nous ne sommes pas en droit de conclure que les révolutions surviennent toujours là où le gouvernement se montre incapable d’incarner l’autorité et le respect qui va de pair. Bien au contraire, la longévité curieuse voire mystérieuse de corps politiques obsolètes est un fait historique et fut vraiment un phénomène caractéristique de l’histoire politique de l’Occident d’avant la Première Guerre mondiale. Y compris là où la perte de l’autorité est tout à fait manifeste, les révolutions ne peuvent éclater et réussir que s’il se trouve un nombre suffisant d’hommes qui sont préparés à cet effondrement et qui, simultanément, en voulant assumer le pouvoir, sont impatients de s’orga­niser et d’agir ensemble en vue d’un dessein commun. Ces hommes-là n’ont pas besoin d’être très nombreux ; dix hommes qui agissent ensemble, Mirabeau l’a dit un jour, peuvent en faire trembler cent mille pris individuellement.

    A suivre

     

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