• Le paradis terrestre

    Le long des rues pavées qui dévalaient la pente douce jusqu'au fleuve, chaque façade constituait un jardin. Pendant que les glycines suspendaient leurs lampions mauves aux étages, les géraniums flambaient aux fenêtres, la vigne illuminait les rez-de chaussée, les digitales fusaient derrière les bancs, tandis que des brins de muguet pointaient entre les pierres, compensant leur taille menue par un puissant parfum.

    La fleur y abondait, vive, drue, insolente, réduisant les maisons à des supports. Sous un ciel bleu et naïf, une conspiration de roses envahissait les murs, des roses roses, dodues, épanouies, plus mûres que des fruits mûrs, vibrantes, prospères, exhibant une chair de pétales qui appelait les caresses ou les baisers, des roses noires, pudiques et empourprées, des roses rouges, sèches et sveltes, des roses jaunes aux fragrances de poivre fin, des roses oranges, muettes sans odeur, des roses blanches, effarouchées, éphémères, trop vite déçues, déjà oxydées. Ici ou là, tel des sauvages venus camper en ville, de minces églantiers au feuillage grenu présentaient des boutons rubescents dont les habitants tiraient de la confiture. Bordant la margelle du lavoir, d'épais hortensias parme gratifiaient les lieux d'une respectabilité bourgeoise.

    "La vengeance du pardon" Eric-Emmanuel Schmitt

    « Aulos Rachmaninoff Symphony no.2 op.27, 3rd Movement HD »
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