• LES AVEUGLES

    Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
    Pareils aux mannequins ; vaguement ridicules ;
    Terribles, singuliers comme les somnambules ;
    Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

    Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
    Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
    Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
    Pencher rêveusement leur tête appesantie.  


    Ils traversent ainsi le noir illimité,
    Ce frère du silence éternel. Ô cité !
    Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

    Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
    Vois ! je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété,
    Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

    Charles Baudelaire
    Les Fleurs du mal (1861)
    « Sans joieTrois robes noires »
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