• Octobre 1956 (2)

     

    MERCREDI 10 OCTOBRE

    Il faut se laisser aller à la lutte. L’abandon se conquiert, le naturel se conquiert. Donnez-moi la Grâce, je me charge du reste.
    Me voilà un peu comme un planeur, maintenant délivré de l’avion pilote, comme un gâteau cuit qui n’a plus besoin de moule, comme un voilier qui a arrêté son moteur. A part ça, je me creuse l’être et me creuse et me racle l’âme, parce que je ne sais plus ce que c’est que la suffisance. Une gorge jamais désaltérée.
    Le malheur de bien des êtres, ce n’est pas de ne plus rien avoir à boire, c’est de n’avoir plus soif. L’eau monte toujours aux lèvres qui se tendent vers elle. Je jurerais bien que, dans l’histoire du monde, on ne trouverait pas un seul exemple, une seule preuve d’un effort vain, d’un mouvement unique et solitaire sans récompense, je jurerais, la tête sous le couteau, que jamais un bras ne s’est tendu sans qu’un autre bras ne se lève, qu’une main vraiment offerte, du fond du cœur, a toujours été prise et serrée, au moins par Dieu, de toute éternité.
    Je me méfie de l’ironie des gros.  *

    JEUDI 11 OCTOBRE

    La Note sur M. Bergson de Péguy. Admirable. Péguy écrit comme un enfant, bégaie et zozote adorablement. L’enfant toujours incompris, qui ne désespère jamais de se faire comprendre, se répète, se précise, se débat avec ces phrases qui le gênent. On a dit que Péguy suit sa phrase, se complaît sur sa phrase : quelle erreur ! Il la devance, au contraire. Très loin en avant, il doit l’attendre, la traîner derrière lui, revenir la chercher. Il la malmène pour la forcer à le suivre, et, derrière lui, entraînée par son extraordinaire élan, elle cahote, parfois s’attarde, parfois jaillit d’un saut en avant qui déconcerte. Péguy n’est pas lent. Le style de Péguy n’est pas lent. C’est peut-être chez Péguy qu’on trouve les raccourcis les plus prodigieux.  
    – La mission, le seul but de tout homme véritable sur terre : devenir simple et pur. La vraie virilité n’est pas celle des soudards. La vraie virilité, c’est la pureté.
    Résister à la tentation, la dominer, la vaincre, vous en apprend plus sur le péché que tous les fléaux de l’enfer, que les pires débauches.
    – Je me veux ne me voulant plus. Victorieux, délivré de moi-même, libre pour le monde, l’amour, la joie, la création.  
    – Quand je me sens les épaules carrées, c’est qu’elles sont pleines de mon âme. La bassesse et l’indigence me paraissent se répercuter sur mon corps, l’affaiblir et l’amaigrir.
    Ces corps qui flottent comme des manteaux trop larges, tremblotent et s’affaissent aux genoux, flottent sur du vide…
    Le matin lorsqu’il se réveilla, la tête lourde et la bouche empoisonnée, lorsqu’il se tira de son lit, dans la froide, la blanche, la sinistre lumière du matin, il sentit sa peau ridée, toute lâche et détendue, glisser sur lui comme la peau des vieilles, pendre à terre et s’affaisser de partout. Et il se prit pour un sac vide.

    DIMANCHE 14 OCTOBRE

    La contrainte de l’examen qui recommence pour quelques semaines.
    Un oiseau qui plane dans le ciel bleu, pâle et déjà froid, les murs rosis par la lumière de cinq heures. Il s’est assis sur son lit, la mèche sur l’œil, le visage tombant vers ses pieds comme une branche cassée. Dans la rue, de petits négrillons poussent des cris sauvages en courant après une balle rouge. Il aimerait s’endormir à jamais.

    Journal - Jean-René Huguenin

     

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