Quant à ma vie, elle était toujours aussi lamentable qu'au jour de ma naissance. Une seule chose avait changé : maintenant, et ce n'était jamais assez souvent, je pouvais boire de temps en temps. Boire était la seule chose qui permettait de ne pas se sentir à jamais perdu et inutile. Tout le reste n'était qu'ennuis qui ne cessaient de vous démolir petit à petit. Sans compter qu'il n'y avait rien, mais alors ce qui s'appelle rien d'intéressant dans l'existence. Les gens vivaient en-deçà d'eux-mêmes, les gens étaient prudents, les gens étaient tous pareils. "Et dire qu'il va falloir continuer à vivre avec tous ces connards jusqu'au bout", pensais-je (...). Il était évident que je ne serais jamais capable de me marier et d'avoir des enfants. Et pourquoi l'aurait-il fallu alors que je n'étais même pas foutu de me trouver un boulot de plongeur dans un restaurant ?
Mais peut-être que je serais pilleur de banques ! Un truc d'enfer ! Quelque chose qui aurait du panache, de la gueule. On ne tentait sa chance qu'une fois. Pourquoi être laveur de vitres ?
J'allumai une cigarette et continuai de descendre la colline. Etais-je donc la seule personne que cet avenir bouché rendait fou ?
"Souvenirs d'un pas grand-chose" Charles Bukowski *