• Réponse de León Ostrov

     

    Chère Alejandra,
                 Votre lettre démontre à quel point la nostalgie que vous ressentez à l’égard de votre mère est profonde. Ce que vous dites au sujet de votre petite chambre de Buenos Aires, de vos couvertures, et le fait de passer directement à Susana après avoir évoqué les lettres pleines d’affection de votre mère en sont, me semble-t-il, la preuve évidente. Voilà en grande partie le problème, enfoui, refoulé, ambivalent, mais néanmoins intense et bel et bien présent telle une plaie non cicatrisée, malgré le temps qui passe. Vous allez nécessairement devoir y faire face. Que puis-je vous dire pour vous aider ? Vous dites que vous n’êtes pas oisive, que vous regardez, que vous observez, que vous vous promenez et que vous êtes tombée amoureuse de Paris ; parfait, c’est déjà ça, mais à l’évidence, pas assez, dans la mesure où vos problèmes et votre mélancolie interfèrent constamment. Est-ce que je regrette de vous avoir laissée faire ce voyage ? Je ne m’y résous pas. Je crois – ou je voudrais croire – qu’en définitive ce voyage sera fécond pour quelqu’un comme vous et que, même avec toutes vos difficultés, Paris ne saurait vous laisser indifférente. Vous avez peut-être besoin de revenir à Buenos Aires pour assimiler cette expérience, et pouvoir vous l’approprier et, enfin, sentir au fond de vous-même à quel point elle vous a grandie et enrichie.
                 Je vous ai imaginée écrivant cette lettre au Flore où j’avais l’habitude de me rendre tous les soirs et (ne le dites surtout pas au serveur) dont je conserve un seau à glace estampillé « Café de Flore » que j’avais subtilisé un soir d’été – faisant abstraction de toute considération morale – au cours d’un rapt minutieusement organisé et prémédité, en « souvenir » de ce Paris dont je ne voulais plus me séparer.
    Écrivez-moi Alejandra, ne déchirez pas vos lettres, laissez-vous porter par ce qui vous vient spontanément. Peu importe si au bout d’un moment ou le jour suivant vous ne vous reconnaissez pas dans vos écrits. Malgré tous vos efforts, vous êtes toujours Alejandra, que vous le vouliez ou non.
                 Nous vous embrassons, Aglae, Andrea et moi-même,             
                                                                                                                                                            León Ostrov

                 Alejandra : Puis-je vous demander un petit service ? Si cela ne vous ennuie pas trop, lors de vos promenades, demandez dans les librairies d’occasion s’il est possible d’obtenir les numéros 3, 4, 5, 13, 104, 108 et 112 de La Nouvelle Revue Critique. Ainsi que le numéro spécial consacré à Freud édité par Le Disque Vert qui date, je crois, de 1924. Commandez-les pour que je puisse virer moi-même l’argent à moins qu’on ne puisse les livrer directement à la librairie Vrin, 6, Place de la Sorbonne, dont je suis un vieux client. La librairie Strechert-Hafner au 16, rue de Condé, Paris IV est spécialisée dans les livres et revues épuisés.
                 
                                                                                                                                                          Merci beaucoup

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