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Septembre 1956
MERCREDI 12 SEPTEMBRE
Bientôt un mois que j’écris sans succès. Que je frôle le but, que je bêche en vain des cailloux. Bientôt un mois que je me désespère ? Non, je hais le désespoir, je ne le crains pas. La valeur, la profondeur de notre âme sont dans son immense faculté d’espérer. Mon Dieu, j’ai commis certaines fautes, ma solitude ici, mes échecs presque quotidiens m’ont amené à une certaine bassesse renouvelée. Vous savez de quoi je parle. Vous
connaissez mon indignité. Mais je ne désespère pas plus en vous qu’en moi. Vous savez, je sais, que si mon roman démarre il n’y aura plus de place pour ces petites indignités. Je ne m’abaisserai plus. Mon travail m’obsédera. Je ne suis qu’à un doigt du merveilleux gouffre : donnez-moi la tendre petite poussée qui m’y précipitera en m’élevant vers vous. *LUNDI 17 SEPTEMBRE
Ah ! que le but est proche, que je me sens fourmiller ! Et pourtant… Mais je me rapproche, à mort la logique, je rôde autour du but. Cruauté. Inaltérable courage.
– Le ridicule est infiniment respectable. Le général vaincu, avec ses épaulettes d’or, ses yeux pleins de larmes, et sa dignité grotesque.
– La France de 40… manque de moral, manque de chefs… Mais non, le cœur était déjà pourri, elle avait déjà perdu la bataille, elle ne croyait plus en elle, elle se sentait indigne de se battre. Un clown ne peut pas être susceptible.
– Le terrifiant, l’irrésistible attrait du danger pour le lâche. Le lâche ne cesse de rechercher le danger, le danger l’obsède, il ne désespère jamais d’en trouver un à sa mesure.
– Le niais vaniteux, qui fait un orageux débat intérieur d’une digestion difficile, qui transforme un mal de tête en crise mystique. Dieu pardonne à la bêtise : elle est incorrigiblement sacrilège.
– Celui qui a vainement, douloureusement cherché à se justifier, à s’excuser, et qu’une phrase toute faite, un lamentable lieu commun, ragaillardit : « Je ne suis pas un pur esprit », « On n’est que des hommes », Peccare humanum est. La lâcheté, c’est d’être banal.
– Céder à la tentation n’est pas grave, si on l’avoue à un ami, si on se l’avoue. L’admirable sacrement de la confession ! Ce qui sépare le repentir du remords, c’est la vérité et le mensonge. Le repentir exalte, parce que la vérité paie toujours. Mais le remords étouffe comme le mensonge.
– Dans tout péché, il y a un germe de désespoir.
– Rien n’est perdu tant qu’on ne ment pas, car mentir, c’est désespérer de soi.MARDI 25 SEPTEMBRE
Revenu à Paris depuis mardi dernier. Ah, Paris, au moins, j’y travaille ! Chailles c’était l’avant-goût de la mort. Serais-tu, Paris, la ville la plus abjecte, la plus pervertie, que je te louerais encore de me permettre de travailler. De créer. Cette fois-ci, je tiens mon roman. Je ne le lâcherai pas.JEUDI 27 SEPTEMBRE
Journal de Green. Très simple et souvent beau. Ah, si je pouvais parler à l’homme de ce Journal ! Mais combien de pas faudrait-il faire, d’abord, pour franchir l’étranger… Pour passer à travers son écorce, lui à travers la mienne. Sans plume, avec une langue et de pauvres gestes, comme on change… Je serais probablement idiot devant lui.SAMEDI 29 SEPTEMBRE
Tous les romans sont la genèse d’un crime, l’histoire d’un meurtre. Le mien, c’est l’histoire du meurtre de soi-même.
– Les phrases ne vont jamais aussi loin qu’on les sent. Ah ! que l’on s’est dépensé, que l’on est en sueur, quelle immense fatigue ! Et pour quoi ? Six petites lignes très simples.
– Une boisson forte, un gros repas, la volupté : euphorie ou mal de cœur.Journal - Jean-René Huguenin
« Pourquoi autant de femmes à barbe ? L'avis de Xavier PoussardLa gauche manifeste, Macron s’en fout, Barnier et les autres news de la semaine… »
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