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Septembre 1959
3 septembre
Le temps a passé très vite. J'ai fait en sorte qu'il passe très vite. Essai de Picon. Si j'avais une table plus confor table, je travaillerais plus (mais si je vais à Paris). Je ne veux pas consigner mon état mental. J'ai feuilleté les œuvres d' Artaud et je me suis retenue de crier: il y décrit des choses que je ressens - très profondément: ce silence menaçant, cette sensation d'inexistence, le vide intérieur, la lutte pour transmuer en langage ce qui n'est qu' absence ou cri -; il parle aussi de ses phases de bégaiement: la langue dure, l'asphyxie. J'ai aussi feuilleté un essai de Jung. Et j'ai eu peur d'être folle. Ou plutôt, un sentiment de désillusion m'a traversée. En effet, si je suis folle, pourquoi est-ce que je me plie aux conventions ? Pourquoi ne suis-je pas plongée dans une sorte d'inconscience, de frénésie, de délire? Et si je ne suis pas folle, pourquoi ce silence en moi, cette ten sion parfois interrompue par l'angoisse, pourquoi l'anxiété et les pleurs? J'envie profondément Virginia Woolf. L'esprit humain est un mystère.
Dimanche 6 septembre
Katherine Mansfield et V. Woolf. Vitalement, ou mor tellement, je me sens plus proche de la première. Vu oèmes. Ou bien les deux. Non. Pas les deux. Le Taureau est lent.* Une chose à la fois. Lentement. Je ferai toujours des poèmes. Je mens. Je ne m'émeus pas. Au fond je ne res pecte rien. Je suis de celles qui font des moustaches à la Joconde. La poésie. La poésie. Mon seul amour est le sexe. Mon seul désir : être une putain. Ou ne pas l'être. Mais je veux des légions d'hommes. Et si ça leur dit, eh bien, va aussi pour les femmes et les enfants. En parti culier, les petits garçons et les petites filles de douze ans. Alejandra Nabokov . (Mais le problème c'est que j'ai douze ans ... )
Pour le sexe, c'est encore un mensonge. Un instant d'onanisme, rien de plus. Les gens devraient se masturber. S'aimer platoniquement et se masturber. Ce serait le règne de la poésie comme ça. Forniquer serait comme se gratter. On pourrait même faire ça en public. La chair est triste*. En fait, ça serait beaucoup mieux si le sexe n'existait pas. Sans désirs, sans élans, flotter, glisser, sans faim ni soif. Le ventre maternel.Alejandra Pizarnik
Tags : sens, septembre, sexe, poesie, serait
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