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Tous ces écrivains qu'on me vante
Tous ces écrivains qu'on me vante, qu'on me presse d'admirer... n'auront jamais, c'est évident, le moindre soupçon d'émotion directe. Ils oeuvrent en "arpenteurs" maniérés jusqu'au moment assez proche, où ils ne travailleront plus qu'en arpenteurs tout court... Peut-être au
dernier moment, au moment de mourir ressentirons-ils une petite émotion authentique, un petit frisson de doute... Rien n'est moins sûr...
Leur fameux style dépouillé néoclassique, cette cuirasse luisante, biseautée, strictement ajustée, impitoyable, impeccable qui les barde contre toute effraction de la vie depuis le lycée, leur interdit aussi à jamais, sous peine d'être immédiatement dissous, résorbés par les ondes vivantes, d'en laisser pénétrer aucune à l'intérieur de leur carcasse... Le moindre contact émotif direct avec le torrent humain et c'est la mort !... cette fois, sans phrase ... Ils se meuvent au fond du courant, comme au fond d'un fleuve trop lourd, sous un énorme poids de caressantes traîtrises sourdement, en scaphandre, éberlués, empêtrés de cent mille précautions ! Ils ne communiquent avec l'exterieur que par micros, vers la surface. Ils pontifient en style "public", impeccable, envers et contre tout, saltimbanques, devins cocus... Ils grandissent avec leur cuirasse ... Ils crèvent avec leur cuirasse, dans leur cuirasse, étreints, bandagés, saucissonnés au plus juste. bouclés, couques, polis, reluisants robots, scaphandres rampants sous l'attirail énorme, emprunté de dix mille tuyaux et ficelles à peu près immobiles, presque aveugles, à tâtons, ils rampent ainsi vers le
joli but lumineux de ces existences, au fond au fond ténèbres... la Retraite... Il n'émane des pertuis de leur armure, des fissures de ces robots "d'élite" que quelques gerbes, bouquets graciles, d'infinis minuscules glouglous, leurs bulles qui remontent. à l'air libre. On ne les félicite jamais de ce qu'ils sont enfin parvenus à crever un jour, dépecer leur extraordinaire carcan métallique, mais au contraire de ce qu' ils réussissent parfois à s'harnacher encore plus pesamment que la veille, se mieux caparaçonner, s'affubler d'autres accablants apports "culturels" et puis de garder malgré tout, au fond de leurs ténèbres, une sorte de possibilité de menues gesticulations... manigances badines, ruses mignardes, réticences équivoques, dites "finesses de style". Une fois remontés en leurs "cabinets douillets", à hauteur de camomille, l'angoisse les enserre, les tenaille longtemps, très longtemps, étranglés, livides, obsédés par le souvenir de ces infinis glauques, de ces abîmes. Ils en dépeignent avec d'éperdues réticences tous les monstres entraperçus... les autres monstres... Ils se relèvent toujours très mal... très meurtris, très douloureux, sous les caresses de la lampe, de ces boyscouteries tragiques, de ses descentes aux origines. Il leur faut "oeuvrer" ensuite bien laborieusement, d'épreintes en contractures, pour que se dissipent, se bercent, enfin toutes ces frayeurs, pour qu'elles se déposent, adhèrent, tiennent enfin au papier, enfin noires, molles et tièdes sur blanc... Que d'amour encore plus d'amour pour que leur pétoche bien massée, adorablement caressée,
les relâche un peu aux tripes... Toute l'affection si attentive, si vigilante d'une famille tout émue pour que leur colique s'atténue, leurs dents s'apaisent... L'amour le plus grand Amour cette redondance de vide, leur grand écouteur d'âme creuse. Que viennent-ils donc tous ces châtrés nous infecter de leurs romans ? de leurs simulacres émotifs ?
Puisqu'ils sont une bonne fois pour toutes, opaques, aveugles, manchots et sourds! Que ne se donnent-ils uniquement à la description,
c'est-à-dire au rabâchage rafistolage de ce qu'ils ont lu dans les livres ?... Que ne font-ils strictement carrière dans le "Beadeker" amusant,
dans le goncourtisme descriptique, le farfouillage objectif à toute force, le Zolaïsme à la 37, encore plus scientifico-judolâtre, dreyfusien, libérateur, que l'autreou la très minusculisante analyse d'enculage à la Prout-Proust, "montée-nuance" en demi-dard de quart de mouche ? ou plus simplement encore, furieux de constipation, que ne se mettent-ils opiniâtres, au sciage acharné du bois ? par tous les temps, quelques stères, tous les jours après déjeuner, et puis au milieu de la nuit ? Leur fatalité insensible et robotique les voue tous, une fois pour toutes, aux rigides estimations, descriptions, à l'arpentage des sentiments, aux grimaces, aux mouvements d'ensemble, aux opuscules sur commandes de tourisme, aux encartages, aux explications pour photographies aux sous-titres publicitaires, aux manchettes d'événements... Sortis de là, ils sont foutus. Sans atrocement gaffer, ils ne peuvent se risquer, se mêler de la moindre reproduction émotive.La honte vous monte à les observer, s'ébrouer, patauger dès qu'ils s'aventurent dans les moindres expressions de sentiments les plus naturels, les plus élémentaires, c'est alors une abjecte écoeurante catastrophe. Indécents, grossiers, pétardiers, ils s'ensevelissent instantanément sous une avalanche de balourdises et d'obscénités. A la moindre incitation sentimentale ils gonflent, ils explosent en mille excréments infiniment fétides. Il n'est qu'un maquis de salut pour tous ces robots sursaturés d'objectivisme. Le sur-réalisme. Là, plus rien à craindre ! Aucune émotivité nécessaire. S'y réfugie, s'y proclame
génie qui veut !... N'importe quel châtré, n'importe quel mastic, youtre en délire d'imposture s'y porte de soi même au pinacle. Il suffit d'une petite entente, bien facile à conclure avec le critique, c'est-à-dire entre Juifs... "Ma grand-mère dans la stratosphère chasse les bielles de M.Picard. Les petits poissons de l'Exposition pensent à la guerre... se taisent en Seine... mal de mer... n'iront jamais en Amérique... anguilles... munitions... mes 42 tantes..."
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