• TOUT DOIT DISPARAÎTRE (5) 1/4

     

    Sous l’égide de Bloy, Céline et Rebatet, on m’attendait au tournant. J’y suis : je ne ferai pas l’économie d’un tel débat. Du moment que je vomis le monde entier, il n’y a aucune raison pour que les Juifs soient exclus de ma gerbe d’or… C’est ce que je croyais pouvoir dire. Hélas ! La France n’est pas prête pour ce genre de logique. Très instructif. Après quatre ans de honte bue, le pays du Déshonneur même se sent assez blanchi pour redouter les sarcasmes d’un petit illuminé ! Si je n’étais pas moi, je verrais ça comme un signal pertinent de démocratie ! Je ne vais pas me plaindre. La censure, je l’ai toujours bien enculée, et dans cette page mieux que jamais.
     Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la littérature a ses limites. On tolère tout ce que je veux comme rhétorique odieusement cynique, toute ma machinerie d’ironie acerbe et mon alchimie des premiers degrés, mais sur des sujets dont tout le monde, après tout, se fout : Monk, les Noirs, mon corps, les livres, le Jazz, la vie… Tout sauf les Juifs ! Là ça coince, là je vais trop loin, je bave. C’est intéressant qu’en 1984 un garçon de vingt-cinq ans, appartenant à une génération qui revendique de n’avoir plus rien à foutre des horreurs de la guerre, n’ait pas le droit de plaisanter dégueulassement sur les Juifs. Le mauvais goût et les douleurs, ça ne se discute pas.
     Barrault, il trouve qu’Au régal des vermines est assez bourré de dynamite comme ça. Il a commencé à sabrer, dans les vingt pages que vous ne lirez pas ici, les passages trop caricaturaux sur les rabbins, les hassidiques et les lamentés de toutes sortes, les cacher à phylactères… Avec plaisir on vous sort des petites esquisses méchantes à souhait de gros Bretons cons avec leurs chapeaux ronds, de nègres avec un os dans le nez, de Corses en sieste sous un arbre et on vous tient même les côtes que vous riiez bien décontracté ! Un yiddish barbu à petites couettes en train d’enculer un cochon : ça ne passe pas, ça gêne, ça gêne. Instructif ! 1984 ! Je note.
     Ce qui fait gamberger Barrault, c’est qu’il ne sait toujours pas si je suis antisémite ! Est-ce qu’on va demander à la L.I.C.R.A. si elle est antiaryenne ?
     Pourtant, c’était vachement intéressant mon petit chapitre. Pas ignominieux pour un sou : juste des évidences, des insolences… Quand je disais : « Parler du cancer c’est être cancéreux, articuler le mot “juif” c’est fini, vous êtes antisémite », je ne pensais pas si bien écrire ! Toute ma vie, j’ai vécu dans la peur de l’antisémitisme, comme si nous étions juifs ! Ça continue alors ? Trouver un seul Juif dégueulasse, personne n’ose jamais ! Comme s’il s’agissait d’une haine raciale ou d’une xénophobie banale. Le Juif n’est pas l’« Étranger » dreyfusard, le perturbateur révolutionnaire : le Juif est une interrogation psychanalytique. Il est aussi normal qu’un goy ne saisisse pas les mobiles d’un Juif qu’un Juif revendique le droit que « tout » soit juif un jour ou l’autre. L’animosité goy n’est qu’une simple absence de Jésus : c’est bien normal que le monde leur revienne de droit, car c’est la loi écrite de l’Univers que tant qu’un goy restera vivant, la Terre ne voudra rien dire… Je n’ai de leçon de racisme à recevoir de personne. *
     Que vont dire mes « amis juifs » ? Comment leur expliquer que ce n’est pas dans ce livre-ci que la permission me sera donnée de révéler leur pouvoir magique ! Ils comptaient sur moi les pauvres pour démontrer que des fours sont sortis les futurs prophètes.
     Moi je déteste Jésus, c’est un fait, mais ce que j’exècre davantage encore, c’est sa caricature : tout l’antisémitisme vient du fait que les « goyes » ne reconnaissent pas toujours Jésus-Christ dans n’importe quel Juif (quelques Juifs sournois diraient que c’est justement parce qu’ils le reconnaissent trop bien : ça ne change rien à mon suicidaire raisonnement). Être persuadé de la métempsycose du Christ dans tous les Juifs, c’est déjà sortir du ghetto. C’est ne plus tomber dans ces questions d’antisémitisme et de pro-sémitisme qui font peur à tout le monde, qui empêchent de parler à l’époque des attentats, de la postapocalypse hitlérienne et du sionisme, alors que tous ces débats devraient s’ouvrir d’eux-mêmes passionnellement et que nous en sommes, paradoxalement dans le fond, restés à l’Affaire Dreyfus.
     Dreyfus, Rothschild, Hitler, Exodus, Israël… Maintenant, ce qui est intéressant c’est Jérusalem Céleste. De la « question » juive raciale d’Hitler, on est passé au « problème » juif d’Israël, lentement on s’approche du Mystère hébreu, de la Genèse restituée si j’ose dire, la fantastique attente du Messie. Comprenez alors que le sort de l’humanité se joue dans cette bagarre de bicots enflammés ! Après l’Économie, après la faillite totale, on va voir apparaître le Messie. Nos arrière grands pères attendaient l’Apocalypse. Nous, nous attendons le Messie, c’est tout simple. La guerre du Proche-Orient sera miraculeusement réglée le jour où le Messie sera là. Jésus est le nœud de la Juiverie arabe : c’est par lui que ça se dénouera.
     Israël est une erreur historique irréparable puisque Jésus lui-même avait considéré les Juifs comme apatrides. Tout est là. C’est un peu gros que l’O.N.U. ait renvoyé les condamnés du christianisme sur les lieux de leurs crimes. Cet Exodus est hitchcockien ! Comment supporter que le monde soit à feu et à sang pour trois millions de Juifs qui, sous prétexte que leurs ancêtres étaient là avant tout le monde, bafouent le blocus, occupent la Jordanie et colonisent un peuple sans intérêt. Ce n’est pas parce qu’ils avaient bénéficié de la civilisation occidentale pour y avoir vécu et habité et même parfois l’avoir dépassée, qu’un désert doit se transformer soudain en terrain de chasse pour Palestiniens. Oasis de finance et de canons, complètement fabriqué par les familles puis par le gouvernement américain qui voyait là une excellente base stratégique au Moyen-Orient, pas très loin de la Russie, cet horrible état c’est le nombril de l’Orient. Le Nombril-Orient.
     Ils seront toujours malheureux. C’est Jésus qui l’a dit. C’est pas moi. « Vous serez apatrides. » La connerie Israël est au moins une démonstration fulgurante que Dieu existe puisqu’ils ont désobéi à son fils. Rien ne vient démentir la Bible là-dessus, rien ! Tout corrobore ce qu’a dit le prophète. Nul n’est prophète ! Surtout Jésus qui est juif ! Nul n’est apatride en son pays !
     Rebatet lui-même n’aurait plus rien à dire sur les Juifs, car ce n’est plus un problème politique ni racial, mais religieux essentiellement. Tout le monde oublie vraiment que l’Apocalypse est passée. Ce n’est pas une métaphore. Hitler fut vraiment l’Apocalypse que les prophètes annonçaient. Je suis sûr que le Belluaire l’aurait reconnu comme tel, Nietzsche aussi. Suarès l’a senti. L’apocalyptisme tel que l’ont pratiqué ces types chrétiens, anarchistes, nationalistes ou fascistes est impossible aujourd’hui. Tout était parfaitement cohérent jusqu’aux monstruosités, aux erreurs, aux héroïsmes de la Bible juive. *

     

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