• UN MENAGE D'AUTREFOIS

    Il vous est sans doute arrivé, mon cher lecteur, d’entendre une voix vous appeler par votre nom. Nos paysans expliquent cela en disant que c’est une âme qui languit du désir de revoir la personne qu’elle nomme, et que la mort suit infailliblement un pareil appel. Je me souviens que, dans ma jeunesse, cela m’est arrivé souvent ; j’entendais quelqu’un prononcer distinctement mon nom derrière moi ; c’était d’ordinaire par un jour de soleil, paisible et beau. Pas une seule feuille ne remuait aux arbres ; les grillons même cessaient de crier ; il n’y avait âme qui vive au jardin, où régnait un silence de mort. Mais je conviens que la nuit la plus noire et la plus orageuse, me  surprenant dans un bois impraticable, m’aurait moins effrayé que cette voix solennelle retentissant dans ce profond silence, par une journée calme et sereine. Je me mettais alors à courir, tout éperdu, tout haletant, et ne m’arrêtais qu’après avoir rencontré quelqu’un dont. la vue pût dissiper l’effroi qui me serrait le cœur. Athanase Ivanovitch se pénétra de l’idée que Pulchérie Ivanovna l’avait appelé ; il se soumit à son sort comme un enfant docile. Il se mit à maigrir, à tousser, à fondre comme un cierge, et s’éteignit enfin dès qu’il ne resta plus rien pour alimenter sa débile flamme. — Qu’on m’enterre près de Pulchérie Ivanovna, — furent ses dernières paroles. On remplit son désir. Il y eut bien moins de visiteurs à son convoi, mais non moins de paysans et de pauvres. La maisonnette seigneuriale devint tout à fait vide. L’intendant spéculateur, d’accord avec le starosta, emportèrent chez eux toutes les nippes que la femme de charge n’avait pas eu le temps d’enlever. Bientôt arriva, on ne sait d’où, l’héritier, parent éloigné qui avait eu le grade de lieutenant dans je ne sais quel corps de l’armée, et très-grand réformateur. Il s’aperçut aussitôt du désordre qui régnait dans les affaires de la maison ; il se décida à changer tout cela, en introduisant l’ordre le plus parfait. Il commença par acheter une demi-douzaine de belles faucilles anglaises, fit peindre un numéro à chaque maison de paysan,  somme, s’arrangea de telle sorte qu’au bout de six mois, son bien fut mis sous le séquestre. La sage tutelle, confiée à un employé retraité et à un capitaine en second dont l’uniforme avait blanchi au soleil, extermina dans un court espace de temps jusqu’aux œufs et aux poules. Les chaumières, qui étaient déjà fort penchées, tombèrent tout à fait en ruine. Les paysans s’habituèrent à boire, et s’enfuirent presque tous. Le propriétaire lui-même, qui, du reste, vivait en fort bons termes avec ses tuteurs, et buvait du punch en leur compagnie, ne venait que fort rarement dans son village, et pour fort peu de temps. Jusqu’à présent, il fréquente toutes les foires de la Petite-Russie, s’informe minutieusement du prix des denrées qui ne se vendent qu’en gros, comme le blé, le chanvre, le miel ; mais il n’achète que des bagatelles, telles que pierres à feu, poinçon à nettoyer la pipe, et généralement tout ce qui ne dépasse pas la valeur d’un rouble.

    Nouvelles choisie de Nicolas Gogol (extrait 5)

     

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