• Vïï (2)

    « Par ici, mes jeunes messieurs, par ici ! criaient-elles à qui mieux mieux. Voyez les beaux craquelins, les beaux pains mollets, les beaux tortillons, les beaux croquembouches.

    – Regardez-moi la belle sucette, achetez-la, mes jeunes messieurs ! criait une autre en brandissant une sorte de longue tresse en pâte de guimauve.

    – Ne lui achetez rien, disait une voisine. Voyez comme elle est laide. Quel nez à faire peur, quelles mains dégoûtantes ! Pouah ! »

    Nos commères se gardaient toutefois d’importuner les philosophes et les théologiens, sachant du reste que, tout en se servant à pleines mains, ces effrontés ne prenaient jamais les marchandises qu’à l’essai.

    En arrivant au séminaire, la gent écolière s’éparpillait dans les classes, grandes pièces basses pourvues de petites fenêtres, de larges portes et de vieux bancs maculés. Les « auditeurs » faisaient réciter leurs leçons aux élèves. La voix perçante d’un grammairien se trouvait au diapason des petites vitres, qui lui répondaient presque à l’unisson. La voix de basse d’un rhétoricien que ses lèvres épaisses rendaient, pour le moins, digne d’appartenir à la philosophie bourdonnait dans un coin, et de loin tout se perdait dans un confus « bou-bou-bou… ». Tout en écoutant les leçons, les répétiteurs regardaient du coin de l’œil sous le banc, où les poches de leurs pupilles laissaient apparaître un pain mollet, un ramequin, des pépins de potiron.

    Quand cette savante cohorte arrivait d’un peu trop bonne heure ou quand on savait que les professeurs tarderaient un peu, alors, d’un consentement unanime, s’engageait une bataille à laquelle tout le monde devait prendre part, y compris les « auditeurs », chargés pourtant de veiller au bon ordre et aux bonnes mœurs de la gent écolière. Deux théologiens réglaient d’ordinaire l’ordonnance du combat ; tantôt chaque classe se battait à part, tantôt la troupe se divisait en deux camps : la « bourse » et le « séminaire ». En tout cas l’initiative appartenait aux grammairiens qui d’ailleurs dès l’entrée en lice des rhétoriciens se retiraient sur les hauteurs pour observer les chances du combat. Puis arrivait la philosophie et ses longues moustaches noires, puis enfin la théologie avec ses larges nuques et ses grègues horrifiques. La théologie remportait presque toujours une victoire complète et refoulait jusque dans sa classe la philosophie, contrainte de se frotter les côtes et de s’affaler sur les bancs pour reprendre haleine. À son entrée le professeur qui, dans son jeune temps, avait pris part à de semblables échauffourées, devinait aux visages cramoisis que la lutte avait été chaude ; et tandis qu’il cinglait à coups de verge les doigts de la rhétorique, un autre professeur dans une autre classe caressait à coups de férule les doigts de la philosophie. Cependant les théologiens se voyaient traités de tout autre manière : chacun d’eux recevait « une mesure de gros pois » pour parler comme le régent, ou, en d’autres termes, une bonne volée de coups de martinet.

    suite ...