• Vïï (8)

    La vieille parut ébranlée.

    « Soit, dit-elle après un moment de réflexion. Je vais vous ouvrir, mais je vous placerai tous trois dans des endroits différents ; je ne dormirais pas tranquille si je vous savais ensemble.

    – Comme tu voudras, acquiescèrent les étudiants ; nous n’avons rien à redire. »

    Le portail grinça, et ils pénétrèrent dans la cour.

    « Et maintenant, ma bonne, dit le philosophe tout en la suivant, est-ce que par hasard il y aurait moyen de… ? Tu me saisis, hein ?… Ma parole, je sens comme des roues de chariot me circuler dans le ventre. Je n’ai pas eu depuis ce matin la moindre miette dans la bouche.

    – Voyez-moi encore ce qu’il lui faut ! bougonna la vieille. Non, mon ami, ne t’attends à rien du tout de ce genre ; je n’ai pas chauffé mon poêle de la journée.

    – Pourtant, insista le philosophe, nous t’aurions payé cela demain, et en belles espèces sonnantes… « Compte là-dessus, ma vieille », ajouta-t-il à part soi.

    – Marchez, marchez, et contentez-vous de ce qu’on vous donne. En voilà des faiseurs d’embarras ! »

    Grande fut à ces paroles la déception du philosophe Thomas ; mais soudain son nez flaira une odeur de poisson séché : lorgnant aussitôt les grègues du théologien qui marchait à ses côtés, il vit qu’une énorme queue de poisson sortait de la poche du compère. Haliava avait déjà eu le temps de subtiliser une belle carpe dans l’un des chariots ; c’était d’ailleurs là un larcin purement désintéressé, commis par simple habitude ; il n’y songeait déjà plus, et quêtait de ses yeux fureteurs quelque objet de bonne prise, fût-ce une simple roue cassée. Le philosophe Thomas put donc sans aucun scrupule plonger sa main dans la poche du digne théologien comme dans la sienne propre et en extraire fort adroitement le poisson.

    La vieille assigna aux écoliers des gîtes différents : elle introduisit le rhétoricien dans la chaumine, puis elle enferma le théologien dans un réduit vide et le philosophe dans une bergerie également vide.

    suite ...