• VISION MÉMORABLE (2)

     

     

     

    Un ange vint vers moi et dit : « Ô pitoyable jeune fou ! horrible! Ô état effroyable ! Considère le cachot embrasé que tu te prépares à toi-même, pour toute l’éternité, et vers où te mène le chemin que tu suis. »

    Je dis : « peut-être voudrez-vous bien me montrer mon lot éternel, ou nous le contemplerons ensemble et nous verrons, de voire lot et du mien, lequel est le plus désirable. »

    Il me fit alors pénétrer dans une élable, puis dans une église, puis, au-dessous, dans la crypte de l’église à l’extrémité de laquelle il y avait un moulin. Nous pénétrâmes dans le moulin ; et au delà était une cave. En tâtonnant, nous suivîmes une pénible route, en spirale, qui descendait à travers la caverne, jusqu’à un espace vide, sans limites, qui s’ouvrit au-dessous de  nous, comme un ciel ; et nous retenant aux racines des arbres, nous pendîmes au-dessus de cette immensité. Je dis alors : « Ange, si vous le voulez bien, nous nous abandonnerons à ce vide et verrons si la Providence est là aussi. Si vous ne le voulez point, moi je le veux. » Mais l’ange répondit : « Jeune présomptueux, ne suffit-il pas, tandis que nous demeurerons ici, que nous contemplions ton lot ; il va bientôt nous apparaître quand cessera l’obscurité. »

    Je demeurai donc prés de lui, assis dans l’entrelacs des racines d’un chêne ; et lui se retenait accroché à un champignon qui pendait, tête eu bas, sur l’abîme.

    Peu à peu, la profondeur infinie devint distincte, rougeoyante comme la fumée d’une ville incendiée ; au-dessous de nous, à une immense distance, était le soleil, noir mais luisant ; alentour du soleil, des lignes de feu sur lesquelles d’énormes araignées évoluaient, se traînant vers leurs proies : lesquelles voletaient, nageaient plutôt, dans la profondeur infinie, sous forme d’animaux très affreux, issus de la corruption ; et l’espace était tout empli et paraissait composé d’elles ; ce sont là les Démons, et on les nomme Puissances de l’air.

    Je demandai donc à mon compagnon quel était mon lot éternel ? Il répondit : « Entre les araignées noires et blanches. »

    Mais, à ce moment, d’entre les araignées noires et blanches une nuée de flamme éclata roulant à travers l’abîme, assombrissant tout ce qui se trouvait au-dessous d’elle, de sorte que la profondeur inférieure devint noire comme une mer et s’agita avec un bruit terrible : au-dessous de nous, il n’était plus rien qu’on pût voir, qu’une noire tempête, lorsque regardant vers l’est, nous distinguâmes vers les nuées et les vagues, une cataracte de sang mêlé de feu et, distant de nous seulement de quelques jets de pierre, apparut et plongea de nouveau le repli écailleux d’un monstrueux serpent ; vers l’Est enfin, distant d’environ trois degrés, une crête enflammée apparut au-dessus des vagues : lentement cela s’éleva semblable à une rangée de rocs d’or, et nous vîmes deux globes de feu cramoisi, desquels  s’échappait la mer en nuages de fumée, et nous comprîmes alors que c’était la tête de Leviathan : son front était divisé par des stries de vert et de pourpre, semblables à celles sur le front d’un tigre ; bientôt nous distinguâmes sa gueule ; ses branchies rouges pendaient juste au-dessus de l’écume en furie et teignaient de rais de sang le gouffre noir, avançant vers nous avec tout l’emportement d’une spirituelle existence.

    L’ange, mon ami, grimpa de son poste dans le moulin : je demeurai seul, et voici ; cette apparence n’était plus ; je me trouvai couché sur une plaisante terrasse, au bord d’une rivière, au clair de lune, écoutant un joueur de harpe qui chantait en s’accompagnant sur ce thème : L’homme qui ne change jamais d’opinion, est comparable à l’eau stagnante ; il fomente les serpents de l’esprit.

    Puis, je me levai et partis à la recherche du moulin où je trouvai mon Ange, qui, surpris, me demanda comment j’avais échappé.

    Je répondis : « Tout ce qu’ensemble nous avons vu, procédait de votre métaphysique ; car, sitôt après votre fuite, je me suis trouvé sur une terrasse, écoutant un joueur de harpe, au clair de lune. Mais à présent que nous avons vu mon lot éternel, vous montrerai-je le vôtre ? » Ma proposition le fit rire, mais moi, soudain, je le saisis entre mes bras et fendis, en volant, la nuit occidentale ; et nous nous élevâmes ainsi jusqu’au-dessus de l’ombre de la terre : alors je me lançai avec lui tout droit dans le corps du soleil ; et là je me revêtis de blanc et prenant dans mes mains les livres de Swedenborg, je plongeai loin du glorieux climat, et outrepassant les planètes, nous atteignîmes Saturne. Là, je m’arrêtai pour me reposer ; puis m’élançai dans le vide, entre Saturne et les étoiles fixes.

    « Voici ton lot, lui dis-je, ici, dans cet espace — si espace ceci peut être nommé. »

    Bientôt nous vîmes l’étable et l’église ; et je l’emmenai vers l’autel et j’ouvris la Bible, et voici : c’était un puits profond dans lequel je descendis, faisant passer l’ange devant moi ; nous vîmes bientôt sept maisons de brique ; nous entrâmes dans l’une  d’elles ; il y avait là quantité de singes babouins et d’autres de cette espèce, enchaînés par le milieu du corps, grimaçants et s’agrippant l’un à l’autre, mais empêchés par le peu de longueur de leurs chaînes. Pourtant, je les vis qui parfois devenaient plus nombreux, et le fort alors s’emparait du faible, et toujours grimaçant ils s’accouplaient d’abord, puis s’entre-dévoraient, arrachant un membre d’abord, puis un autre, de sorte que bientôt il ne restait plus qu’un tronc misérable, lequel ils embrassaient d’abord avec des grimaces de feinte tendresse, puis finissaient par dévorer également. De-ci de-là j’en vis qui épluchaient, avec gourmandise, la chair de leur propre queue. La puanteur nous incommodait grandement tous deux ; nous rentrâmes dans le moulin ; ma main ramena le squelette d’un corps ; c’était les Analytiques d’Aristote.

    L’ange me dit alors: « Ta fantaisie m’en a fait accroire, et de cela tu devrais rougir. »

    Je répondis : « Réciproquement chacun de nous en fait accroire à l’autre ; c’est vraiment perdre son temps que de converser avec toi qui n’as su produire que des Analytiques. »

    "Mariage du ciel et de l'enfer" William Blake

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