• APOLOGIE DE LA TECHNIQUE : ÉTHIQUE ET TECHNIQUE

     

    II. ÉTHIQUE ET TECHNIQUE

    1. LA QUESTION SOCIALE
        La question fatidique de la culture européenne  est : « Comment est-il possible de protéger de la faim, du froid, de la mort et du surmenage une humanité entassée sur l’espace exigu d’une portion de terre froide et pauvre, et de lui donner la liberté et l’otium à travers lesquels seuls elle peut accéder au bonheur et à la beauté ? »
        La réponse est : « À travers un développement de l’éthique  et de la technique ». —
     L'éthique  peut métamorphoser l’Européen, à travers l’école, la presse et la religion, de prédateur
    en animal domestique , et par ce biais le rendre mature pour une communauté libre — la technique
     peut, à travers l’augmentation de la production et la métamorphose des travaux forcés humains en travail des machines, offrir à l’Européen le temps libéré et la force de travail, dont il a besoin pour la construction d’une culture.

    L’éthique résout la question sociale de l’intérieur — la technique de l’extérieur. —

    En Europe, seules deux classes humaines ont les présupposés pour le bonheur : les riches, qui peuvent faire et avoir tout ce qu’ils veulent — et les saints,  qui ne veulent pas faire ou avoir plus que ce que leur destin leur accorde. Les riches se conquièrent une liberté objective, à travers leur pouvoir  de métamorphoser leurs congénères et les forces de la nature en organe de leur vouloir — les saints se conquièrent une liberté subjective, à travers l’indifférence avec laquelle ils affrontent les biens terrestres. Le riche peut s’épanouir vers l’extérieur — le saint vers l’intérieur.

    Tout le reste des Européens sont des esclaves de la nature et de la société : des forçats et des prisonniers.

    2. INSUFFISANCE DE LA POLITIQUE

        L’idéal de l’éthique est de faire de l’Europe une
    communauté de saints;  l’idéal de la technique est de faire de l’Europe une communauté de riches.
        L’éthique veut abolir la convoitise, pour que les humains ne se sentent plus pauvres — la technique veut abolir la misère, pour que les humains ne soient  plus pauvres.
        La politique  n’est en mesure ni de rendre les humains satisfaits, ni de les rendre riches. C’est pourquoi ses propres tentatives pour résoudre la question sociale sont vouées à l’échec. Ce n’est qu’en étant au service de l’éthique et de la technique que la politique peut participer à la résolution de la question sociale.
        Dans l’état actuel de l’éthique et de la technique, le maximum de ce que la politique pourrait atteindre serait la généralisation de la non-liberté, de la pauvreté et du travail forcé.
     Elle ne pourrait que rendre ce mal partout égal, et non le supprimer  ; ne pourrait que faire de
    L’Europe une maison de redressement pour forçats égaux en droits — mais nullement  un paradis. Le citoyen d’État de l’État social idéal serait moins libre et plus affligé que les insulaires des mers du Sud dans l’état de nature : l’histoire de la culture deviendrait l’histoire d’une fatale tromperie à l’encontre de l’humain.

    3. ÉTAT ET TRAVAIL

    Tant que l’éthique est trop faible pour protéger l’humain de ses congénères, et la technique trop sous-développée pour transférer sa charge de travail aux forces de la nature, — l’humanité cherche à repousser les dommages de la surpopulation à travers l 'État, les dangers du climat à travers le travail.

    L’Etat protège l’humain de l’arbitraire des congénères — le travail de l’arbitraire des violences de la nature.

    L’Etat forcé organisé accorde sous certaines conditions à l’humain, qui a renoncé à sa liberté, la protection de la personne et de la propriété contre les désirs de meurtre et de vol de ses congénères —

    le travail forcé organisé accorde dans les contrées nordiques à l’humain, qui a renoncé à son temps et à sa force de travail, la protection contre la famine et le froid. —

    Ces deux institutions commuent la peine de l’Européen, qui en tant que surnuméraire serait naturellement mort, en travaux forcés à vie. Pour vivoter, il doit donner sa liberté. En tant que citoyen d’État il est enfermé dans la carapace étroite de ses droits et devoirs — en tant que forçat, il est harnaché sous le dur joug de ses performances de travail. Qu’il se révolte [70] contre l’État— le gibet le menace alors; qu’il se révolte contre le travail — la mort de faim le menace alors. —

    4. ANARCHIE ET OTIUM

    L’État et le travail prétendent tout deux être des idéaux ; ils exigent de leurs victimes respect et amour. Cependant ils ne sont aucunement des idéaux : ce sont des nécessités sociales et climatiques lourdes à supporter.

    Depuis qu’il y a des États, la nostalgie de l’humain rêve $ anarchie, de l’état idéal d’absence d’État — depuis qu’il y a le travail, la nostalgie de l’humain rêve d ’ otium, de l’état idéal du temps libre.

    L ’anarchie et l’otium sont des idéaux — non l’État et le travail, l'anarchie est, dans une société densément peuplée n’ayant pas un haut niveau éthique, inapplicable. Sa réalisation anéantirait nécessairement les derniers restes de liberté et de possibilité de vie que l’État réserve à ses citoyens . Dans la panique générale, les égoïsmes se collisionnant écraseraient les humains les uns contre les autres. Au lieu de conduire à la liberté, l’anarchie conduirait nécessairement à la pire non-liberté.

    À travers l’otium généralisé dans une partie nordique du monde, en l’espace d’un mois la plupart des humains mourraient nécessairement de faim et de froid. La détresse et la misère atteindraient leur sommet.

    Les ermites-anarchistes dominent dans les déserts et les champs de neige, parmi les Esquimaux et les Bédouins ; l’otium domine dans les pays du Sud faiblement peuplés et féconds.

    5. DÉPASSEMENT DE L’ÉTAT ET DU TRAVAIL

    L' État forcé et le travail forcé, ces deux protecteurs et maîtres tyranniques de l’humain culturel, ne peuvent être aplanis par aucune révolution politique ; seulement par l’éthique et la technique.

    Tant que l’éthique n’a pas dépassé l’État forcé, l’anarchie signifie le meurtre et le vol généralisés — tant que la technique n’a pas dépassé le travail forcé, l’otium signifie la mort de faim et de froid généralisées.

    Ce n’est qu’à travers l’éthique que l’habitant des pays surpeuplés peut se délivrerde la tyrannie de la société, ce n’est qu’à travers la technique que l’habitant des zones les plus froides peut se délivrer de la tyrannie des violences de la nature.

    La mission de l’État est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de l’éthique, et de conduire finalement à l’anarchie — la mission du travail est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de la technique, et de conduire finalement à l’otium.

    Ce n’est pas la communauté humaine volontaire qui est une malédiction — mais seulement l’État forcé ; ce n’est pas le travail volontaire qui est une malédiction — mais seulement le travail forcé.

    Ce n’est pas l’absence de bridage qui est idéal — mais la liberté ; ce n’est pas l’oisiveté qui est idéale — mais l’otium.

    L État forcé et le travail forcé sont deux choses qui doivent être dépassées  : mais elles ne peuvent être dépassées à travers l’anarchie et l’otium, tant que l’éthique et la technique ne sont pas mures ; pour y parvenir, l’humain doit développer l’État forcé pour encourager l’éthique — développer le travail forcé pour encourager la technique.

    Le chemin vers l’anarchie éthique passe par l’État forcé — le chemin vers l’otium technique passe par le travail forcé.

     « Zwangsstaat und Zwangsarbeit sind Dinge, die überwunden werden müssen » : cette phrase rappelle la phrase introductive de Zarathoustra, dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche :
    « Je vais vous enseigner le surhumain. L’humain est quelque chose qui doit être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ? »

    La courbe de la spirale culturelle, qui mène du paradis du passé au paradis du futur, empreinte le double cours  suivant :

    Anarchie naturelle — surpopulation — État forcé — éthique — anarchie culturelle ;

    Otium naturel — migration vers le nord — travail forcé — technique — otium culturel.

    Nous nous situons aujourd’hui au milieu de ces deux courbes, tout aussi éloignés des deux paradis : d’où notre misère. L’Européen moyen moderne n’est plus un humain de nature — mais pas encore un humain de culture ; il n’est plus un animal — mais pas encore un humain ; il n’est plus une partie de la nature — mais pas encore maître de la nature. —

    6. ÉTHIQUE ET TECHNIQUE

    L’éthique et la technique sont soeurs : l’éthique domine les forces de la nature en nous, la technique domine les forces de la nature autour de nous. Les deux cherchent à contraindre la nature à travers un esprit organisé .

    L’éthique cherche à travers l’abnégation héroïque à délivrer  l’humain : à travers la résignation — la technique, à travers l’affirmation  héroïque : à travers l ’acte.

    L’éthique retourne la volonté de puissance  de l’esprit vers l’intérieur : elle veut conquérir le microcosme.

    La technique retourne la volonté de puissance de l’esprit vers l’extérieur : elle veut conquérir le macrocosme.

    Ni l’éthique seule, ni la technique seule ne peuvent délivrer l’humain nordique : car une humanité qui a faim et froid ne peut être ni rassasiée  ni réchauffée à travers l’éthique — car une humanité méchante  et cupide ne peut être ni protégée d’elle-même ni satisfaite à travers la technique.

    À quoi sert aux humains toute moralité , si en même temps ils meurent de faim et de froid ? À quoi sert aux humains tout progrès technique, si en même temps ils en mésusent, pour se massacrer et se mutiler les uns les autres ?

    La culture de l’Asie souffre davantage de la surpopulation que du froid : elle a ainsi pu renoncer à la technique et s’adonner au développement éthique plus facilement que l'Europe, où l’éthique et la technique doivent se compléter.

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