• AU SUJET D’UN ÉTABLISSEMENT. PENSÉES PARALLÈLES

    Un enfant de cinq ou six ans sait parfois, sur Dieu, sur le bien et le mal, des choses surprenantes, et vous en viendrez, malgré vous, à vous dire que, certainement, la Nature a donné aux petits des moyens d’apprendre la vérité que n’ont pas découvert les pédagogues. Oh ! parbleu ! Si vous interrogez un gamin de six ans sur le bien et le mal, il éclatera de rire. Mais ayez la patience de lui citer des faits, de voir ce que sa petite cervelle en déduit, et vous ne serez pas long à voir qu’il en sait peut-être plus long que vous sur Dieu, ce qui est louable et ce qui est blâmable. Il en sait même plus long que l’avocat le plus retors, parce que ce dernier est aveuglé par le besoin de faire valoir ses arguments.
    Oui, ces enfants des asiles doivent s’être rendu compte qu’ils ne sont pas « comme les autres enfants », et je suis certain que ce n’est pas par les nourrices ou les surveillantes qu’ils le savent. Vous découvrez vite, j’en suis sûr, qu’ils ne comprennent que trop de choses à ce sujet.
    Aussi me disais-je que ces pauvres petits ont droit à une compensation. Il n’est que juste qu’après les avoir recueillis dans ces établissements, on fasse tout pour développer leur instruction et qu’on ne les laisse aborder la vie que solidement armés. Il faut que l’État regarde ces abandonnés comme ses enfants. On viendra me dire que c’est une prime accordée aux unions irrégulières, aux mauvaises mœurs. Mais croyez vous, vraiment, que toutes les demoiselles intéressantes et sympathiques dont je parlais plus haut vont se hâter de peupler le pays d’enfants illégitimes, dès qu’elles apprendront que leurs rejetons seront admis gratuitement dans les universités ? Ne soyez pas absurdes !
    Oui, ai-je pensé, si on les adopte, il faut les adopter complètement. Je sais bien que cela excitera l’envie de beaucoup de braves gens honnêtes et travailleurs : « C’est trop fort ! » gémiront-ils : j’ai peiné toute ma vie ; j’ai lutté pour faire bien élever mes enfants légitimes, sans réussir à leur assurer l’avantage d’études complètes. Me voici vieux, malade, je vais mourir bientôt et mes enfants vont se disperser, livrés aux dangers de la rue ou esclaves dans des fabriques. Pendant ce temps-là les petits bâtards vont conquérir leurs grades aux universités, trouveront de bons emplois et ce sera avec l’argent que je paye pour mes contributions qu’on en aura fait des personnages ! »
    Je suis sûr que ce monologue sera débité. Et il est vrai que tout s’arrange bien mal. Ces plaintes sont, à la fois, cruelles et légitimes. Comment s’y reconnaître ?

    Mais je n'ai pu m'empêcher de songer à l'avenir des enfants abandonnés. Parmi ceux qui ne sont pas secourus, il y en a d'âmes supérieures, qui "pardonneront à la société" , d'autres qui "se vengeront d'elle", le plus souvent à leur propre détriment. Mais donnez à ces déshérités un peu d'instruction et d'éducation, et je suis certain que bon nombre de ceux qui sortiront de cet "établissement", par exemple, entreront dans la vie avec un grand désir d'honorabilité, avec la réelle ambition de fonder une famille estimable. Leur idéal, j'en jurerais, serait d'élever eux-mêmes leurs enfants, sans compter sur la générosité de l'Etat. Sans qu'ils soient ingrats, il leur viendra un juste besoin d'indépendance.

    "Journal d'un écrivain" (1873-1881) Fédor Dostoïevski *

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